Les mardis de la colère se poursuivent à l’Hôpital Édouard Herriot à Lyon. Ici, soignants et usagers mêlent leur voix pour témoigner du malaise qui touche l’hôpital public.
Pendant environ 2 heures, infirmiers, aides-soignants et de nombreux citoyens se sont rassemblés de nouveau, le mardi 2 juin, devant les grilles de l’HEH…Le mouvement pour «sauver l’hôpital public » se poursuit. Rencontré au cours de la manifestation, Thomas Laurent, Infirmier diplômé d’Etat (IDE), membre de la CGT et CIU, a accepté de nous livrer son témoignage. Récit.
La grogne continue à l’HEH. Quel est l’ordre du jour ?
Vouloir témoigner du profond malaise qui touche l’hôpital public. Ensuite, montrer qu’on est toujours là et qu’on a toujours les mêmes demandes. Nos revendications n’ont pas changé depuis un an, et aujourd’hui avec la crise, la situation s’est empirée. Le mouvement se poursuit dans le but de maintenir la pression sur notre direction et surtout sur le gouvernement.
Quelles sont vos principales revendications ?
D’abord, l’augmentation de salaire, puis l’embauche massive de personnel pour pouvoir travailler correctement et prendre soin dignement des gens, aussi la réouverture des lits en fonction des besoins de la population.
Cette crise a démontré la triste réalité de nos hôpitaux publics. Quel constat faites-vous ?
On est dans un système qui est arrivé à bout de souffle. Un système qui s’appuie énormément sur le dévouement des soignants, notamment pendant la crise. Cela a été dit ouvertement par le ministre de la Santé…Oui, il a raison, on pouvait compter sur le dévouement des soignants… mais le manque de moyens nous empêche de prendre en charge correctement toute la population.


On a dû faire le tri des patients admis en réanimation, même aller jusqu’au refus de certains patients pour manque de places… Oui, les personnes vulnérables n’étaient pas considérées comme prioritaires….Devoir trier les patients dans une des plus grandes économies de la planète…Est-ce normal ? Il est important de se rappeler à quel point la situation était grave…
De quoi l’hôpital souffre-t-il vraiment ?
La première chose qui m’a frappé, c’est le manque de matériel, qui contrairement à ce que dit le gouvernement, est toujours d’actualité: Vous voyez ce masque ? Je suis censé le porter pendant 12 heures alors qu’avant la crise, sa durée d’utilisation ne devait pas dépasser 4 heures. On a été amené à travailler sans gants et avec des sur-blouses confectionnées avec des sacs poubelles…Voila donc ce que l’HEH, un des plus grands hôpitaux en France, a vécu pendant la crise…Vous pouvez vous imaginer la situation dans les petits hôpitaux du pays….
Quel était votre état d’esprit pendant la crise ?
A Lyon, on a eu de la chance. En effet, on a reçu beaucoup de patients mais il n’y avait pas eu une vague qui nous a submergés au niveau de la prise en charge de l’hôpital. On a pu faire face à la crise malgré la pénurie des équipements qui persiste toujours. Par ailleurs, tout le personnel soignant avait surtout cette angoisse face à l’avenir. Nous ne savions pas exactement comment tout cela allait évoluer, notamment en voyant la région du Grand-Est qui a beaucoup souffert. Voila, c’est cette absence d’avenir qui était compliquée pour nous.
Mais l’inquiétude persiste toujours en évoquant cette éventuelle deuxième vague ?
L’idée est moins présente dans les esprits actuellement puisque on est en train de revenir sur un fonctionnement normal d’avant Covid, tout en gardant le système instauré lors de la crise. Maintenant, tous les patients sont testés, le port du masque reste obligatoire, les visites des proches sont toujours interdites….
Vous dénoncez la poursuite de « la casse de l’hôpital public ». Quelles seront les prochaines étapes ?
Nous ne sommes pas très rassurés par rapport à ce qu’a donné le Ségur de la Santé. Deux ou trois réunions d’une heure et demi sur deux mois pour planifier une refonte du système de la santé ? On sait qu’il ne sera pas à la hauteur de nos attentes à cause d’une préparation insuffisante. Pour répondre à votre question, notre objectif aujourd’hui c’est de poursuivre le mouvement et maintenir la pression. Une journée de mobilisation pour l’hôpital est prévue le mardi 16 juin. Nous appelons tous les usagers à y participer.
Quelles sont les failles du Ségur de la santé ?
Une mise en place rapide et mal organisée. Un mauvais choix des représentants. Certains acteurs de terrain, notamment les paramédicaux et les représentants des usagers, ont été ignorés et n’ont pas pu ainsi participer aux discussions. Il en a été de même pour la plupart des collectifs et des associations. En effet, le Ségur a été dirigé par les responsables de cette situation. Comment ces derniers pourront se remettre en question ? D’ailleurs, le Premier ministre l’avait dit : « Il ne s’agit pas d’une remise en question »….le plus important pour le gouvernement, c’est d’aller plus vite…. Bien entendu, plus vite dans la mauvaise direction….
Quel rôle les usagers peuvent-ils jouer pour vous soutenir ?
Le rôle des usagers est multiple. D’ailleurs, l’hôpital public les concerne en premier temps, c’est leur argent et leur santé. Quel rôle peuvent-ils jouer ?
Déjà, venir en masse le 16 juin, ensuite signer la pétition « sauver l’hôpital public » sur change.org, qui est également révélateur du nombre de gens qui s’allient à notre cause. Enfin, la carte électorale est également un bon moyen d’action : A l’approche du 2ème tour des municipales, les citoyens devraient s’adresser aux élus et surtout voter pour des gens qui privilégient la santé.


Je pense que les citoyens sont de plus en plus conscients de la situation grâce à la crise. Les applaudissements de 20h depuis les balcons montrent bien qu’ils avaient conscience de notre travail et de notre utilité en espérant que ce geste symbolique se transformera en soutien plus actif.
Quelles ont été les conséquences sur votre vie familiale ?
Ma famille ne vivait pas à Lyon et donc je n’ai pas pu les voir durant toute la crise pour ne pas les mettre en danger. Les sacrifices sont réels…j’ai des collègues qui se sont séparés de leurs enfants pendant deux mois pour éviter le risque de les contaminer, sans parler des soignants qui ont été touchés et qui ont contaminé leur proches.
Je vous laisse le mot de la fin ?
J’appelle tous les usagers à venir nombreux le 16 juin, de se joindre à la foule, tout en respectant les consignes d’hygiène. L’heure est à l’action. Nous comptons vraiment sur leur soutien car nous ne pouvons pas y arriver seuls… Je saisis cette occasion pour remercier tous les médias qui ont couverts nos actions. Ils jouent eux aussi un rôle très important dans le relais de l’information.
Interview réalisée par Cheker Berhima