Le mardi 16 juin, se déroulait à Paris, une manifestation en faveur du personnel soignant suite à un appel à une mobilisation nationale. En marge de cette manifestation, une infirmière fut interpellée après des jets de pierres sur des forces de l’ordre et placée en garde à vue. Les images de son interpellation, considérées comme violentes, ont particulièrement choqué. Retour sur cet événement.
Le contexte
Mardi après-midi, les manifestants battaient le pavé à Paris, aux alentours de 14h à l’avenue Ségur, pour réclamer plus de moyens humains et financiers en faveur de l’hôpital public et plus largement pour l’ensemble du système de santé. Par conséquent, de nombreux infirmiers, brancardiers, médecins, aides-soignants, aides à domiciles, pompiers, et ambulanciers étaient présents. Le cortège avance donc dans la bonne humeur, direction les Invalides à Paris. Mais c’est ici, que les tensions vont s’accentuer. La cause ? Les fameux blacks-blocks ont infiltré le cortège et s’en sont pris violemment aux forces de l’ordre, mais aussi envers un car de touristes et une voiture. En réaction donc, les forces de l’ordre, usent de gazs lacrymogènes afin de les dissuader.
Or, les « blacks blocs» étant mélangés dans le cortège aux personnels soignants, ces derniers ont aussi reçu les gaz destinés à ces blacks-blocs. Au milieu de la fumée, certains manifestants le prennent comme une attaque arbitraire de la part des forces de l’ordre, dans le but d’arrêter la manifestation. C’est dans ce contexte, qu’une infirmière prend des galets de pierre et les jette en direction des forces de l’ordre, accompagnés de doigts d’honneur sans en connaitre les raisons. Un policier est touché par ces jets de pierres, par conséquent les forces de l’ordre procèdent à son interpellation. Les circonstances de celle-ci sont données grâce aux images filmées par Rémy Buisine pour Brut et par le photographe Vidhusan. On peut y voir au début de la vidéo, l’infirmière nommée Farida, se faire tirer par les cheveux et se faire maintenir au sol par plusieurs policiers, « ces derniers peinent à la menotter alors qu’elle ne semblait pas s’opposer à son arrestation », selon le photographe. Farida C. dit ensuite, plusieurs fois, aux policiers, qu’elle est infirmière, et qu’elle a besoin de sa ventoline, avant de se faire se relever et d’être emmenée au commissariat.
Une histoire de gestes et de symboles.
Cette vidéo a provoqué l’émoi sur les réseaux sociaux. Le contraste est saisissant avec un rassemblement de soignants pour dénoncer la souffrance de l’hôpital public. Un rassemblement de soutien au personnel soignant qui se voit détourné par des violences venant dénaturer le mot d’ordre de la journée de mobilisation.
Les images d’une infirmière en blouse blanche violemment interpellée lors de cette manifestation par des policiers représentant un corps d’une police d’État va créer l’amalgame et les raccourcis entre – Etat – contre – manifestants -. Si le domaine d’intervention des CRS est le maintien ou le rétablissement de l’ordre public et la sécurité générale, le détournement des symboles manipulent souvent la population alors que les images de policiers déposant leurs casques, en signe de geste d’apaisement, ne circulent pas sur les réseaux sociaux, voir très peu. Les gestes polémiques sont tout d’abord les jets de projectiles de l’infirmière envers les forces de l’ordre et un policier tirant cette dernière par les cheveux, perçu comme choquant et dégradant pour la femme, qui rappel des arrestations de manifestantes lors de la mobilisation contre les violences faites aux femmes, le 8 mars.
Cela pose donc le débat de la légitimité de ces deux actes dans l’opinion publique : comment défendre la manifestante qui, quelques minutes avant, brandissait des « doigts d’honneur » suivi de projectiles ? Comment défendre les forces de l’ordre qui trainent une personne au sol par ses cheveux, refusant de lui administrer sa ventoline ?
Lors de sa garde à vue, Farida C. a reconnu les faits, elle a précisé que sa colère n’était pas dirigé envers les forces de l’ordre mais contre l’Etat.
Quatre policiers ont porté plainte contre l’infirmière interpellée pour avoir jeté des cailloux sur les forces de l’ordre en marge de la manifestation des soignants, mardi, à Paris selon LCI/TF1. L’infirmière sera jugée en septembre pour « outrage » « rébellion », et « violence sur personne dépositaire de l’autorité publique ». L’ampleur de cet événement a malheureusement mis sous couvert le message des manifestants, soutenu par la population. Depuis plus d’un an, ils réclament plus de moyens humains, matériels et financiers. La crise du Covid-19 avait mise en lumière une souffrance désormais quotidienne depuis les réformes successives de l’hopital public, la suppression de lits, la réorganisation des services et la surpression des titularisations.
« C’était très symbolique »
La manifestante, a témoigné hier face à la caméra de Taha Bouhafs et revient sur ce qui s’est passé, et son ressenti. Elle se présente au journaliste comme une cadre de santé dans un service de gériatrie et ayant travaillé dans l’hôpital public depuis 17 ans, et passée par différents postes : aide-soignante, infirmière puis cadre. Elle affirme que ce n’est pas la première fois qu’elle assiste à une manifestation. Elle raconte que durant cette manifestation, elle a été « gazée pour la énième fois sans aucune raison », elle estime que c’est « une façon de nous étouffer encore plus, une façon de nous clouer le bec, pour qu’on se taise, qu’on arrête de dire qu’on ne va pas bien ». La manifestante ne comprend toujours pas les motivations des forces de l’ordre sur l’usage des gazs : « je ne comprenais pas pourquoi on gaze des soignants ». De là, elle nous explique ce qui a déclenché son geste : « ils nous ont envoyé des gazs, je leur ai envoyé des cailloux ». Mais elle précise que ces cailloux n’étaient pas destinés aux forces de l’ordre, en effet elle dit : « ce n’est pas sur les forces de l’ordre que j’ai jété des cailloux mais sur les décisions de l’Etat, c’était très symbolique ». Elle affirme ensuite que son geste n’avait aucune intention de blesser qui que ce soit : « je savais que j’allais blesser personne, je ne avais pas l’intention de blesser qui que ce soit (..), je soigne les gens c’est pas aujourd’hui que je vais les blesser ». Elle revient ensuite sur les conditions de son interpellation, et tient à rappeler le caractère disproportionné de celle-ci : « qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Pour mériter d’être trainée par terre, d’être humiliée, d’avoir le cuir chevelu carrément arraché, d’être trainé par les cheveux (…) c’est disproportionné par rapport à ce que j’ai fais ». Farida C. annonce qu’elle portera plainte à son tour.
Grosse désillusion donc, le débat ne s’est pas porté sur les conditions de travail du personnel soignant mais une fois encore sur les violences commises en marge de manifestation.
Photo : « Je suis infirmière… Tu me lâches… », l’entend-on crier, à genoux, alors que les policiers tentent de lui entraver les mains dans le dos. « Il fallait réfléchir avant », réplique un membre des forces de l’ordre. Estelle Ruiz/Hans Lucas via AFP