Jeudi 9 juillet 2020, trois de nos journalistes ont visité le camp de sans-abris demandeurs d’asile situé près de la Part-Dieu. Ce camp, qui existe depuis environ un an, abrite une trentaine d’occupants, essentiellement des jeunes hommes originaires d’Afrique subsaharienne, tous dans une situation très précaire. Nous avons pu dialoguer avec des occupants de ce camp et allons ici dresser leurs portraits et leurs parcours bien distincts qui les ont mené à vivre des expériences similaires ces derniers mois. Reportage.
Paroles de sans-abris
Peu après notre arrivée un homme vient à notre rencontre. Il est lillois et est un ancien du camp. Il nous raconte son parcours de son arrivée ici depuis Lille en 2018, ses deux ans à la rue sans ressources en passant par ce camp jusqu’à finalement l’obtention d’un logement en sous-location. Les aides? Selon lui elles ne venaient ni de la métropole ni de la ville mais seulement des associations. Une absence d’aide qui expliquerait sa colère vis-à-vis des institutions, interrogé sur un message qu’il donnerait aux autorités locales, il prendrait le préfet à parti et lui adresserait ce message : “que du blabla”. Le logement qu’il partage actuellement a été déniché grâce à des contacts et l’application Entourage, un réseau solidaire permettant à tout un chacun de venir en aide à des sans-abris. Une solution qui reste précaire et non viable pour tous car elle repose sur des circonstances qui lui sont exclusives.
Cette première conversation terminé nous nous approchons d’un homme seul assis sur un rebord en pierre, il observe, attend, discute. C’est un Ivoirien qui occupe ce lieu de vie depuis plusieurs mois. Il a décidé de nous raconter son histoire, sa routine, ses aventures, d’une voix frêle et hésitante.
Venu en Europe sur les conseils de son père et en sa compagnie : « c’était une belle image que j’avais de la France. Parce que une fois mon père m’a montré la télé, il y avait un feu d’artifice. Et de là je me suis dit que c’était la France, les images sont venues : c’est la beauté. » Mais très vite mis à la porte par son paternel une fois sur place qui estimait qu’il devait « se chercher », l’eldorado qu’il imaginait trouver s’est révélé être tout autre. Il a vagabondé de logements en logements pendant plusieurs années. À chaque fois mis à la porte il a finalement atterri dans ce camps de réfugiés où il loge dans une simple tente depuis 4 mois : «J’ai déjà eu un logement, j’ai été en collocation avec un ami, il m’a mis à la porte du jour au lendemain sans raisons. j’ai eu un appartement au foyer jeune travailleur qui s’est plutôt bien passé. J’y suis resté 6 ans, je travaillais, je m’en sortais. Mais je suis tombé gravement malade. Sur les conseils de mon père je suis rentré en Côte d’Ivoire pour me faire soigner. Quand je suis revenu en France le foyer m’a dit que j’y étais plus. »
Arrivé ici en Mars, une routine s’est installée : « je me lève, me lave le visage, les dents, même si l’on a pas de point d’eau. Je déjeune et prends un café, de là j’attends patiemment. Je vais aussi à l’agence d’intérim savoir si il y a du boulot et si il y en a je le fais.» Les conditions de vie, le manque de confort, l’absence d’hygiène ne sont pas les seules difficultés que rencontrent les habitants de ces abris de fortunes. L’ennui, l’attente, l’absence de travail sont également quotidiens pour eux. Ce vagabond, malgré les nombreux voyages qu’il a effectués, et notamment les allers-retours vers l’Espagne, Châlons mais aussi Dijon, est toujours retourné à Lyon. Toutes les rencontres qu’il a faites au cours de ses périples sont facteurs de ce qu’il est aujourd’hui, de ce qu’il vit : «J’ai travaillé pour pouvoir partir. Je suis allé en Espagne, j’ai acheté un pain au chocolat et de là j’ai rencontré une personne qui m’a dit c’est con de quitter Lyon […] Du coup je suis retourné à Lyon, j’ai fait 6 mois à la rue. J’ai croisé un monsieur qui travaille au foyer de jeunes travailleurs où je payais mon loyer et il m’a dit « t’inquiète pas tu t’en sortiras ».
Malgré tous ses voyages, toutes ses rencontres et ses aventures, il n’arrive pas à oublier son pays d’origine et à s’habituer à la vie ici : « Aujourd’hui j’espère retourner en Côte d’Ivoire. Si on se fait expulser du camp je me démerde pour retourner chez moi. Et pourtant je travaille, je suis vendeur de câbles TV. J’arrive pas à m’y faire à la France. Je suis bloqué. »


Pendant la crise sanitaire, confinés mais à la rue
La période de la crise sanitaire, et d’autant plus celle du confinement, sans aucun doute éprouvante pour tous, a aussi été révélatrice d’inégalités flagrantes. Tout le monde n’a pas vécu le même confinement et la différence est d’autant plus importante pour ceux qui n’avaient pas de lieu où se confiner, les sans-abris. Ces deux hommes étaient dans ce camp pendant le confinement, et la vie à la rue était doublement difficile pendant ces longues semaines. Ils nous confient qu’à cause de la fermeture de la plupart des locaux d’associations pendant le confinement, nombreux étaient celles et ceux qui ne pouvaient laver leur linge ni se laver eux-mêmes, ce qui explique en partie notre surprise quand le lillois nous annonçait qu’il n’y avait pas eu le moindre cas de Covid-19 sur le camp.
Le jeune ivoirien, interrogé sur son ressenti personnel, nous confiait que les 55 jours d’interdiction de déplacement furent très compliqués pour lui, qu’il « n’arrivai(t) pas à s’y faire », avant de nous expliquer, tout comme le lillois avant lui, que l’Etat avait été aux abonnés absents pour l’aide aux sans-abris, malgré la promesse du préfet de ne laisser personne dans la rue pendant le confinement. Le lillois se réjouit que des familles aient pu être mises à l’abri par la ville mais ces personnes seules ont été des grands oubliés. Comme le reste de l’année, le soutien, matériel et moral, provenait d’associations, notamment du collectif #PourEux qui collectait et livrait des repas aux sans-abris partout sur Lyon et une autre association qui avait ouvert un gymnase près de la Part-Dieu pour permettre aux sans-abris de prendre leur douche et de suivre leurs démarches administratives avec lesquelles les membres de cette association les aident, et ce dans le respect des mesures sanitaires.
Ces 30 personnes qui vivent au jour le jour, dans l’angoisse du lendemain et sans savoir ce qu’il adviendra d’elles, se retrouvent aujourd’hui dans une situation encore plus anxiogène. Le camp, malgré une bonne entente avec le voisinage, est aujourd’hui sous le coup d’une procédure judiciaire visant son démantèlement. Le jour de notre visite, un agent de la CCAS était présent pour faire une orientation auprès des occupants du camp, ce qui, selon un homme présent membre d’une association et notre guide autour du camp, est précurseur d’un diagnostic social, annonciateur d’un futur démantèlement. Affaire à suivre donc tant la situation peut évoluer rapidement. Et Droitcitoyen suivra le dossier et l’évolution de la situation judiciaire du camp de près.