Procès Mannoni : la solidarité à l’épreuve de la justice

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Poursuivi pour avoir aidé à la circulation de personnes en situation irrégulière sur le territoire français en octobre 2016, Pierre-Alain Mannoni était jugé à la cour d’appel de Lyon le 23 septembre. Le parquet requiert 5 mois de prison avec sursis, la cour rendra son verdict le 28 octobre. Reportage.

L’audience débute à 13h30. Pierre-Alain Mannoni est appelé à la barre par le président de la cour qui rappelle ce dont il est accusé : dans la nuit du 18 octobre 2016, il conduisait trois jeunes femmes érythréennes en voiture du squat où elles vivaient en direction de Nice, où il réside. Son véhicule a été contrôlé au péage de la Turbie à 4H45 du matin. La cour tente de comprendre le geste de Pierre-Alain Mannoni : lors du contrôle, il a affirmé que ses passagères étaient en situation irrégulière, pour la cour, cela signifie qu’il était conscient qu’il commettait un acte répréhensible aux yeux de la loi. L’accusé apporte une précision en disant qu’à l’époque, il n’était pas au fait de la loi concernant les migrants et le passage de frontières, il dit qu’il se « doutait qu’elles n’avaient pas les bons papiers » mais ne connaissait pas leur statut précis. Il était seulement conscient des difficultés rencontrées par les sans-papiers dans la vallée de la Roya de par des personnes qu’il a pu fréquenter et qui militaient dans des associations dont deux qui étaient témoins de la défense : Alain Creton et Hubert Jourdan.

Aujourd’hui ce geste, je l’assume.

Pierre-Alain Mannoni

Pierre-Alain Mannoni se défend d’être militant ou passeur mais admet avoir été sensibilisé à la situation des personnes sans-papiers dans la vallée de la Roya. À ses yeux, ce qu’il a fait était « ce qu’il fallait faire ». Interrogé par l’avocat général Fabrice Tremel et le juge, il dit qu’il n’a pas immédiatement accepté de prendre les trois migrantes en charge : il dit que lorsqu’il avait l’intention de retourner chez lui à Nice, des personnes du squat lui ont demandé s’il pouvait emmener des personnes blessées avec lui, il dit avoir hésité avant d’accepter en voyant l’état de ces femmes. La cour remet cette hésitation en doute, l’avocat général presse l’accusé sur ce point qui maintient sa version, appuyée par le témoignage de Martine Landry, présente au squat la nuit du 18 octobre 2016 mais qui admet qu’elle n’a pas assisté à la scène elle-même. Il a également été questionné sur les blessures de ces femmes : si leurs blessures étaient assez sérieuses pour le convaincre de les emmener, pourquoi ne les a-t-il pas emmenées à l’hôpital. Ce à quoi Mannoni et Martine Landry ont répondu que lorsque les pompiers étaient appelés pour secourir des sans-papiers dans la vallée de la Roya, les personnes blessées ou malades étaient conduites à la police plutôt qu’à l’hôpital.

Mannoni est également questionné sur les jours qui ont précédé les faits qui lui sont reprochés. Lors de sa première visite au squat, il avait donné son numéro à un jeune migrant du nom de Malik qui l’a appelé quelques jours plus tard pour lui demander de l’aide. Mannoni l’a conduit à Hubert Jourdan. Ce jeune homme est aujourd’hui étudiant apprenti cuisinier. La cour discute d’un autre événement qui remonte à deux jours avant le 18 octobre : en route vers une fête avec sa fille, Mannoni remarque un groupe de personnes sur le bord de la route. Il s’arrête pour leur parler et découvre qu’ils sont soudanais et veulent se rendre à Antibes où réside l’épouse du plus âgé du groupe, Mannoni leur conseille de sortir de la route et leur dit qu’il les récupèrera sur le chemin du retour de la fête. Mannoni les héberge la nuit-même et demande conseil le lendemain matin à Cédric Herrou, connu dans le milieu associatif niçois, qui a conseillé à Mannoni de les déposer à une gare en particulier; ce qu’il fait après avoir déposé sa fille à l’école.

L’Avocat Général presse Mannoni sur ces faits dans ses questions pour tenter d’affirmer la motivation et le militantisme de Mannoni, ainsi qu’une éventuelle préméditation des faits dont il est accusé. Il souligne que Mannoni a fait tout son possible pour cacher la famille soudanaise de la police, ce qu’il ne nie pas, il était convaincu que pour faire en sorte que ces gens puissent accéder à leurs droits et demander l’asile, il était nécessaire de les préserver de la police.

Les récits des cinq témoins appelés à la barre par la défense insisteront sur la naïveté de Mannoni au moment des faits : Alain Creton, qui est celui qui a amené Mannoni au squat le 18 octobre 2016, disait que l’accusé était « naïf dans ce qu’il découvrait » sur la situation des migrants. Michel Toesca, un cinéaste qui réalisait un film et était présent sur le squat au moment des faits a rencontré Mannoni lors d’un de ses passages au squat. Le cinéaste a dit au sujet de Mannoni « il ne savait pas ce qui était légal ou pas légal ». Enfin, Hubert Jourdan, questionné par la défense, affirme qu’au moment des faits, Pierre-Alain Mannoni n’était « absolument pas » connu ou actif dans le milieu associatif, ce qui ne permet pas de peindre l’accusé comme un militant engagé.

Le réquisitoire et le plaidoyer

Les témoignages terminés l’Avocat Général prononce son réquisitoire dans lequel il rappelle que ce procès n’est pas celui du militantisme mais de Pierre-Alain Mannoni, il renvoie donc aux articles 622-1 et 622-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers interdisant l’aide à la circulation d’étrangers en situation irrégulière. Il insiste sur le fait que l’infraction commise par Pierre-Alain Mannoni est établie et indiscutable et qu’il a sciemment transgressé la loi en tentant de dissimuler les personnes qu’il aidait de la police. Il conteste la prétendu naïveté de Mannoni, disant que c’est un homme qui a un certain niveau d’éducation, un universitaire cultivé qui devrait connaître la loi et qui ne peut pas prétendre être inconscient de l’illégalité de son geste, aussi altruiste soit-il.

Le plaidoyer de la défense de l’avocate Maeva Binimélis souligne le caractère désintéressé et purement humanitaire du geste de Mannoni, se raccrochant ainsi à l’article 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, qui accorde l’immunité humanitaire à toute personne qui aiderait des personnes en situation irrégulière dans un but purement humanitaire et si l’acte n’a mené à aucune contrepartie. Elle accuse également l’irrégularité de l’arrestation et de la garde à vue des trois femmes que Mannoni conduisait. Elle répond à l’argument de l’avocat général concernant la tentative de dissimuler les migrants de la police en disant que Mannoni savait qu’il serait contrôlé sur cette route à cette heure et l’a prise néanmoins, ce qui prouve sans l’ombre d’un doute sa sincérité aux yeux de la défense. Ce qui la prouve davantage encore, c’est le fait que Mannoni a dit des choses qui pourraient l’incriminer au sujet du jeune Malik ou du groupe de migrants soudanais mais les a dites sans se poser de questions.

À l’issue de ces 6 heures d’audience, l’issue du procès est bien entendu incertaine. Pierre-Alain Mannoni clôt le procès en clamant encore une fois sa sincérité, il dit que ces 4 années d’aventure judiciaire lui ont permis de réfléchir, qu’il s’est souvent demandé s’il aurait dû dire quelque chose de différent mais qu’il a fini par admettre qu’une « seule chose reste immuable : (son) geste ». À 19h30, le son du marteau du juge sonne la fin de l’audience, la cour rendra son verdict le mercredi 28 octobre prochain.

Journaliste à Véridik

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