Des familles qui ont choisi l’instruction à domicile pour leurs enfants s’opposent fermement à la décision d’Emmanuel Macron de rendre la scolarisation à l’école obligatoire à partir de 3 ans, formulée lors de son discours sur les séparatismes ce vendredi.
«On est sous le choc, c’est violent.» Jia, depuis son petit village du Limousin, a du mal à s’en remettre. A la télévision, Emmanuel Macron vient d’annoncer sa volonté de fortement limiter l’instruction à la maison. Ce système ne concerne qu’une toute petite poignée de jeunes, 50 000 sur les 12,4 millions d’élèves inscrits en cette rentrée. Un choix défendu bec et ongles par des parents d’enfants en phobie scolaire ou partisans d’une pédagogie alternative, comme cette mère de famille de 33 ans. Avec son compagnon, elle a choisi d’offrir à ses trois enfants une grande liberté dans l’apprentissage, à la maison comme à l’extérieur, car, dit-elle, «tout est sujet à apprendre, comme le nom des oiseaux ou des plantes lors d’une balade en forêt».
Jia l’assure pourtant, elle veut simplement respecter le rythme de ses enfants et passer plus de temps avec eux. Rien à voir donc avec un quelconque repli religieux avancé par le Président pour mettre fin à cette pratique. «Je ne comprends pas : j’entends parler d’islamisme, d’école coranique. Ça doit exister mais ce n’est vraiment pas une majorité. On est athées pour la plupart et on n’a rien contre l’école.»
De son côté, Pierre, dont les deux enfants ont chacun suivi la pédagogie Montessori à la maison, n’apprécie pas d’être ainsi pointé du doigt : «On n’est pas contre la République. On élève nos enfants dans les valeurs de la France ; quel est le rapport entre les problèmes de religion et l’instruction à domicile, avec des familles qui ont simplement choisi une éducation différente ?» Il persiste et signe, ce choix éducatif est un projet mûrement réfléchi, qui se fait chaque année en accord avec ses enfants. D’ailleurs, sa fille de 16 ans a repris l’école en cinquième, contrairement à son fils qui, lui, est resté à la maison.
«Je ne veux pas qu’on m’impose d’aller à l’école»
Depuis la loi de Jules Ferry de 1882, l’instruction – et non la scolarisation – est obligatoire de 3 à 16 ans. Libre aux parents de choisir entre inscrire leur enfant dans un établissement ou bien assurer eux-mêmes cette tâche. Et les enfants, qu’en pensent-ils ? «Si je dois retourner à l’école un jour, c’est parce que je l’aurai choisi et pas parce qu’on m’impose d’y aller», assure Loris. Cet ado de 14 ans,dont l’élocution pourrait laisser croire qu’il en a dix de plus, a quitté l’école il y a six ans et ne regrette en rien ce choix. A l’époque, il s’ennuyait et ne se sentait pas à sa place alors qu’aujourd’hui, il gère lui-même son emploi du temps, en fonction de ses envies. En ce moment par exemple, il termine depuis chez lui à Mouguerre (Pyrénées-Atlantiques) la fabrication d’une imprimante 3D, «une activité qui lui permet de travailler les maths, faire du codage informatique et donc d’aborder plusieurs matières pour arriver à ses fins», explique sa mère Nathalie. Loris apprend sur le terrain, dans des musées ou à des conférences, puis complète ses connaissances à la bibliothèque et sur Internet. «L’enfant doit être acteur de son instruction et ne pas être passif comme c’est le cas à l’école», assure sa mère, dont le rôle se limite à rester disponible pour lui. Elle ne digère donc pas les injonctions du gouvernement sur l’école obligatoire dès 3 ans. «Ils veulent à tout prix rescolariser tout le monde parce qu’ils ne supportent pas d’avoir des élèves qui leur échappent. Mais on a le droit de choisir l’instruction de nos enfants, c’est une atteinte à la liberté des gens», s’emporte-t-elle.
Dans les faits, les contrôles pédagogiques restent limités avec une inspection par an pour vérifier que l’enfant maîtrise, à la fin de l’instruction obligatoire, l’ensemble des exigences du socle commun. Mais Nathalie, elle, se sent de plus en plus oppressée : «On nous contrôle chaque fois davantage, avec des exercices très précis. Les inspecteurs ont beaucoup de mal à comprendre qu’un enfant puisse travailler seul, ils voient ça comme s’il était livré à lui-même.»
Un sentiment partagé par Gwenaëlle, membre active de l’association Les enfants d’abord. «Les contrôles n’ont cessé de se renforcer depuis plus de vingt ans, d’abord sous couvert de la lutte contre les sectes et aujourd’hui contre le radicalisme religieux.» Cette mère de cinq enfants, tous passés par l’instruction en famille, entend mobiliser les parents concernés. «On ne laissera pas cette loi passer au Parlement. On se battra pour que nos enfants restent à la maison.» Et si ça ne marche pas, Jia, comme d’autres familles autour d’elle, envisage déjà un départ à l’étranger.
Source : www.liberation.fr