Le tragique attentat dont a été victime l’enseignent Samuel Paty a remis en exergue le problème de la propagation des contenus haineux et illicites sur réseaux sociaux. Le gouvernement a promptement investi ce phénomène dangereux.
Les réseaux sociaux au cœur de la polémique.
« Il faut s’attaquer plus fortement à ceux qui transmettent la haine en ligne » a déclaré le Premier ministre Jean Castex dans le cadre du QAG (questions au gouvernement). Cette prise de position fracassante du gouvernement dans la lutte contre la haine sur les réseaux sociaux trouve sa genèse dans le contexte occasionné par l’assassinat de Samuel Paty. Selon les enquêtes policières, le jeune assassin aurait manifesté des signes de radicalisation par la publication de contenus haineux sur Twitter en été 2020. Malgré plusieurs signalements d’utilisateurs de la plateforme, l’assaillant ne faisait pas l’objet d’une particulière surveillance des services de police et n’était pas fiché S. Selon un policier antiterroriste, dont le propos a été recueilli dans le Canard Enchaîné, « on n’en a pas fait une priorité parce que chaque année on reçoit des milliers d’alertes de ce genre ». Cette situation de surcharge qui inonde les services est similaire au cas de la plateforme Pharos. Cette dernière, spécialisée dans le recueil de signalements de contenu illicite sur internet, recense selon France info près de 4400 signalements par semaine. Pour la trentaine de policiers ayant pour mission de vérifier le bien-fondé des signalements, la tâche est tout simplement injouable.
Les signalements peuvent traiter d’arnaques en ligne, de fake-news, ou d’informations complotiste et concerner les insultes et harcèlements. Des signalements sont également émis pour divulgation de données personnelles qui menace la vie privée et la sécurité des individus. Selon le rapport de l’Institut Montaigne « Internet: le péril jeune ? » prés de 56 % des jeunes affirment avoir subi de la cyberviolence et 35 % à de multiples reprises. Le rapport avance que la cyberviolence touche toutes les tranches d’âge.
Pour accentuer la capacité de traitement des plateformes de signalement, le premier ministre a annoncé, suite au conseil des ministre du vendredi 23 octobre, une augmentation d’effectif pour la plateforme Pharos. Autre mesure déclarée, il sera maintenant possible de poursuivre des utilisateurs pour mise en ligne de données personnelles sans consentement. Pour Jean Castex ces mesures viennent intensifier « la surveillance des réseaux sociaux et la lutte contre la haine en ligne ».
Le come-back de la loi AVIA
Afin d’accompagner les mesures avancées, le gouvernement discute d’un retour de la loi Avia (une loi anti-haine en ligne) dans son cahier des charges. La loi, datant de juin 2020, imposait aux hébergeurs des plateformes (Facebook, Google..) de retirer les contenus illicites moins de 24h après leur publication, de retirer les contenus terroristes et pédocriminels moins de 1h après leur publication et de les sanctionner en cas de non-respect des modérations demandées. La notion d’hébergeur définit, selon la Loi de la Confiance en l’Economie Numérique de 2004 « une personne, physique ou morale, qui assure, même à titre gratuit pour la mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournie par des destinataires de ces services. » Pour coordonner cette action et prendre les éventuelles sanctions contre les récalcitrants, le projet de loi visait à mettre en place un opérateur « de la haine en ligne » qui serait placé auprès du CSA. Après avoir été voté au Parlement, le projet a été censuré par le conseil constitutionnel en juillet 2020 qui a rapporté dans sa réponse « la détermination du caractère illicite des contenus ne repose pas sur leur caractère manifeste mais est soumise à la seule appréciation de l’administration ». Ce vide juridique pouvait mener à « une nouvelle atteinte à la liberté d’expression » selon les termes du Conseil.
« Il faut en priorité améliorer les définitions et les systèmes de détection » recommande un rapport de l’Institut Montaigne. Concernant la sanction, le projet de loi se heurte à la LCEN de 2004 qui prévoit aux hébergeurs le principe d’irresponsabilité civile et pénale quant aux contenus des sites hébergés. En clair, mis à part dans quelques exceptions, les hébergeurs sont déresponsabilisés des contenus qu’ils diffusent. Le premier ministre, travaille « à trouver une voie juridique tenant compte de la jurisprudence de l’avis du Conseil Constitutionnel ». Cela afin de mettre en place des dispositions efficaces pour lutter contre la haine en ligne.
Actuellement la loi est en cours de réécriture assure la députée LREM « dès le discours du président aux Mureaux sur le séparatisme, nous avons repris nos travaux ». De nombreux membres du gouvernement réinvestissent le débat en insistant sur l’importance de mettre en place une réglementation efficace afin de lutter contre le fléau des réseaux sociaux. Cette stratégie requiert de « placer les plateformes devant leur responsabilité une bonne fois pour toutes » interpelle le ministre de l’Économie Bruno le Maire. Pour Lætitia Avia, cela passe par la répression « il faut taper les plateformes au portefeuille avec des sanctions pour qu’elles soient contraintes de faire le job ». « Cette tragédie – l’attentat de Conflans – prouve que réguler les réseaux sociaux est nécessaire » rappelle la députée dans Le Parisien pour mettre en évidence l’enjeu du combat contre la haine sur internet.
La commission européenne au cœur du dossier.
Autre acteur ayant inscrit la lutte de la propagation des discours et contenus haineux dans son agenda est l’Union Européenne. Par le biais du DSA (Digital Services Act) l’exécutif de l’Union entend bien redéfinir le cadre de responsabilité auquel sont soumis les hébergeurs. « Si la réglementation actuelle permet aux plateformes de bénéficier d’exemptions de responsabilité vis-à-vis de ces contenus, la Commission Européenne compte mettre un terme à ce régime afin de les inciter à prendre des mesures proactives pour détecter et supprimer les contenus problématiques » avancent les conseillers au numérique de l’Institut Montaigne Gilles Babignet et Théophile Lenoir dans leur rapport sur le Digital Services Act. Avec ce projet de réglementation, le commissaire européen Thierry Breton a rapporté lors d’une interview accordée au Financial Times, « les hébergeurs – tels que Facebook – pourront être sanctionnés s’ils ne réagissent pas assez vite lorsqu’un contenu illicite leur sera signalé. » Pour éviter l’atteinte à la liberté d’expression que le conseil constitutionnel a avancé contre la loi Avia, le DSA requiert l’intermédiaire d’un pouvoir judiciaire indépendant et non des plateformes pour trancher de la légalité des contenus signalés. Un essai a été lancé avec l’exemple du conseil de surveillance de Facebook. Cet organe judiciaire indépendant composé à l’heure actuelle de 40 membres est chargé de modérer les contenus du réseau social américain sur la base des plaintes transmises par les utilisateurs. Le souci du délai pour le rendu de décision pose encore problème. Le conseil de surveillance table sur une période de 90 jours pour rendre un verdict, ce qui est loin du délai de 24h préconisé par le gouvernement.
Actuellement le DSA est toujours en cours d’écriture, la commission européenne prévoit de « proposer un texte en décembre qui devrait porter des mesures exigeantes sur les plateformes. C’est ce que nous encourageons » déclare Lætitia Avia.
Zaid Zouihri
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