Le média d’investigation « Disclose » dévoile dans une enquête que le groupe français laitier Lactalis ne respecte pas le code de l’environnement. Il révèle de nombreuses fraudes et manquements à la sécurité alimentaire sur 38 des 60 usines présentes sur le territoire français.
Le média en ligne a enquêté pendant un an en partenariat avec Médiapart, Envoyé Spécial (France 2), Brut, France Culture, The Guardian et Le Poulpe. Il démontre dans cette enquête que les enjeux sanitaires et environnementaux sont ignorés au profit des enjeux économiques de l’entreprise. Lactalis, détenue par la famille Besnier, est le premier groupe laitier au monde avec 250 sites de production dans 50 pays. En France, cela représente plus de 15 000 employés répartis dans une soixantaine de sites. Du haut de ses 18,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, le groupe se constitue de nombreuses entreprises locales qui fabriquent entre-autre, le camembert Le Petit, le roquefort Société, les desserts La Laitière, la mozzarella Galbani, la feta Salakis …
L’entreprise Lactalis a déjà fait scandale par le passé. En 2017, une trentaine de nourrissons sont hospitalisés après avoir consommé du lait de premier âge contaminé aux salmonelles, une bactérie causant des gastro-entérites. L’enquête de Disclose révèle les manquements à la sécurité alimentaire, la pollution des rivières, la faillite des mécanismes d’auto-surveillance, la dissimulation d’informations …
« Rien ne se jette, tout se transforme »
Le reportage d’Envoyé Spécial commence avec la chasse aux lanceurs d’alerte ayant cours au sein de l’entreprise. Deux ex-employés témoignent de leur licenciement abusif dû à leur engagement syndical et au fait d’avoir à plusieurs reprises tenté de dénoncer en interne certaines pratiques. La rentabilité des produits se fait au mépris des règles d’hygiène. Une note de service datant de 2016 dévoilée par un des ex-salarié expose que des camemberts tombés au sol sont remis dans le circuit destiné à la filière humaine. Ainsi des produits souillés se trouvent transformés en fromage à pizza ou en vache qui rit, témoigne l’ex-salarié.
Un autre ex-salarié dénonce l’utilisation abusive d’eau usée. Les eaux utilisées pour nettoyer les cuves à lait sont réinjectées dans des yaourts ou encore des crèmes desserts tandis qu’autrefois ce mélange d’eau et de produit lacté était destiné aux porcs. L’entreprise applique ce que l’on appelle « le mouillage du lait », une pratique qui consiste à ajouter de l’eau dans le lait et qui est interdite en France et en Europe. Une troisième pratique de manquement à la sécurité alimentaire s’ajoute : « Lactalis standardise le lait entier en rajoutant du rétentat riche en protéine, de la crème riche en matière grasse et jusqu’à 15 % d’eau, ce qui est clairement interdit par la réglementation européenne et nationale », affirme la rédactrice en chef de Lamy, une revue spécialisée en droit alimentaire, Claudine Yedikardachian devant les caméras d’Envoyé Spécial.
Polluer pour mieux régner
Sur de nombreux sites français, comme celui de Riom-ès-Montagne dans le Cantal ou encore celui de Saint-Florent-le-Vieil en Maine-et-Loire, des effluents industriels sont en grande quantité rejetés dans des rivières. Disclose comptabilise que depuis plus de dix ans 38 sites ont été ou sont encore en violation du Code de l’environnement. Cette pollution à grande échelle est dissimulée grâce à « des rapports d’autosurveillance suspects voire falsifiés ». L’enquête révèle que des tonnes de résidus toxiques détruisent la vie aquatique. Plusieurs procès pour pollution ont jalonné l’histoire de Lactalis et les amendes imposées ne sont pas dissuasives. Le site souligne d’ailleurs que l’entreprise bénéficie de nombreuses subventions publiques pour moins polluer.
Le dernier volet de l’enquête dévoile « les milliards cachés de Lactalis ». 220 millions d’euros d’impôt sur les sociétés auraient échappé au fisc entre 2013 et 2018. À cela s’ajoute 1,3 milliards d’euros de bénéfice que Lactalis aurait remonté vers une société écran luxembourgeoise appelée Nethuns. Suite aux révélations du site, la communication du groupe a déclaré qu’aucun membre de la famille Besnier n’est bénéficiaire de Nethuns avant d’ajouter que le principal actionnaire et le président du conseil de surveillance Emmanuel Besnier est « bénéficiaire effectif de manière indirect », mais « qu’il n’y a aucun lien direct, ni flux financier entre lui et la société Nethuns ».
Sur le site de Disclose, l’enquête nommée « l’ogre du lait » se présente en cinq volets publiée tout au long de la semaine du lundi 19 au jeudi 22 octobre. C’est à l’occasion de cette dernière publication que simultanément est diffusé, sur France 2 dans l’émission d’investigation Envoyé Spécial, un reportage intitulé « Lactalis : au-dessus des lois ? ». Une série documentaire est proposée également sur France Culture dans l’émission les Pieds sur Terre.