Le 21 octobre le gouvernement a proposé une loi qui permet de prolonger l’état d’urgence initialement prévu jusqu’au 30 octobre, au mois d’avril 2021. Ce mode opératoire équivaut pour certains élus à une atteinte aux libertés fondamentales et au système démocratique.
L’état d’urgence sanitaire qui ne s’arrête pas.
Avec la prolifération du virus, la France est entrée depuis le 23 mars 2020 en état d’urgence sanitaire. Ce système de gouvernance permet à l’exécutif de légiférer et exécuter des lois par décrets ou ordonnances sans passer par le vote du Parlement. Avec une pandémie qui n’en finit pas, l’état d’urgence sanitaire a été plusieurs fois rallongé par des projets de loi afin que le gouvernement puisse continuer d’appliquer des mesures dans l’urgence sanitaire que connaît la France depuis maintenant prés de huit mois.
Déjà avec la loi du 9 juillet 2020 qui organisait la sortie de l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement avait prévu de prolonger l’état d’urgence jusqu’au 30 octobre afin de pouvoir mettre en place les mesures sanitaires jugées nécessaire pour lutter contre la deuxième vague pressentie par le conseil scientifique. Avec l’accélération de la propagation du virus ainsi que la saturation certaine vers laquelle vont les services de réanimation en hôpitaux, le gouvernement a de nouveau proposé une loi qui puisse proroger l’état d’urgence jusqu’en avril 2021.
Avec ces lois, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé et dans l’intérêt de la santé publique, mettre en place des mesures exceptionnelles par ordonnance, sans qu’elles n’aient à être votées au Parlement. Ainsi le Premier ministre peut décider d’interdire ou de restreindre les déplacements des personnes et la circulation des moyens de transport mais aussi de fermer provisoirement une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public lorsqu’ils « ne permettent pas de garantir la mise en œuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus ou lorsqu’ils se situent dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constaté une circulation active du virus. »
La promulgation de ces mesures est basée sur les avis du conseil scientifique. Ce dernier a annoncé « des mois d’hiver difficile vis-à-vis de la circulation de la Covid 19 », ce qui a engagé l’exécutif à mettre en place des restrictions comme le couvre-feu et plus récemment le confinement.
Le temps est compté pour le gouvernement, insiste le ministre de la santé Olivier Véran lors de la commission des lois du 22 octobre 2020 dans une rhétorique alarmante : « hier dans notre pays il y a eu plus de 2000 hospitalisations et 250 en réanimation. Cela fait presque une hospitalisation par minute, c’est-à-dire que depuis que j’ai commencé à parler cinq personnes sont à l’hôpital. »
Le projet de loi qui repousse l’échéance de la fin de l’état d’urgence au mois d’avril a d’ores et déjà été validé par le conseil des ministres ainsi que par le conseil scientifique, mais pour le Sénat le système d’action par ordonnance devient préoccupant.
La démocratie en perdition.
Si le gouvernement invoque le bilan ainsi que les prévisions sanitaires catastrophiques afin de justifier le prolongement de l’état d’urgence, pour le rapporteur de la commission des lois au Sénat Philippe Bas « plus les libertés sont restreintes, plus le contrôle du Parlement doit être effectif et régulier ». Le 27 octobre 2020 Libération a publié une tribune « en finir avec l’état d’urgence et d’exception » qui dénonce le statu quo mis en place par l’exécutif. « Les mesures sanitaires prises sans délibération ni vote du Parlement sont de plus en plus fréquentes » peut-on lire dans l’introduction du texte cosigné par de nombreuses personnalités parmi lesquelles l’économiste et directeur de recherche du CNRS Gael Giraud ou l’humoriste et scénariste engagé Bruno Gaccio. La tribune expose une vision alarmiste sur les conséquences de l’état d’urgence qui ampute le pays de son système démocratique. « La normalisation de ces pouvoirs exceptionnels confiés aux dirigeants affranchis du processus démocratique, représente une atteinte de plus en plus alarmante aux libertés et aux droits fondamentaux » avance le texte.
De nombreux élus ont également émis des réserves quant au désir du gouvernement de maintenir l’état d’urgence jusqu’en avril prochain. La député du PS et membre de la commission des lois George Pau Langevin émet des craintes sur le projet de loi, « c’est le pouvoir législatif qui sera mis à l’arrêt ».
Cette appréhension est partagée et rédigée noir sur blanc sur le rapport de la commission des lois du Sénat qui a examiné le projet du 21 octobre. Les commissaires sénatoriales ont décidé de « ramener au 31 janvier 2021 le terme de l’état d’urgence sanitaire et supprimer la prolongation, jusqu’au 1er avril 2021 du régime de sortie de l’état d’urgence. » De plus, la commission sénatoriale a décidé de « fortement circonscrire le champ des habilitations à légiférer par ordonnances ». Pour le président de la commission François-Noël Buffet, le Sénat ne souhaite pas refuser les moyens demandés par le gouvernement pour lutter contre la propagation du virus mais « il est aussi du devoir du Parlement de s’assurer de la nécessité et de la proportionnalité des prérogatives qui lui sont accordées. »
De nombreux amendements et corrections ont été ajoutés au projet de loi du 21 octobre. Le Sénat n’est pas contre une éventuelle prolongation de l’état d’urgence, mais soumet cette possibilité à un vote par le Parlement en janvier 2021.