Le texte de la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche été adopté dans sa version finale en commission mixte paritaire ce lundi 9 novembre 2020. Déjà cible de vives critiques des milieux universitaires, un nouvel amendement modifié dans la version finale du texte ravive l’indignation à son encontre.
Accusée de paver le chemin à la privatisation de la recherche française et à la précarisation des jeunes chercheurs, les conditions d’adoption de la Loi PPR, en procédure accélérée entre deux confinements, avaient de quoi piquer ses opposants. Lors de la dernière étape, ce 9 novembre, d’un processus législatif que d’aucuns qualifient de passage en force, un article décisif s’est glissé dans la version qui sera soumise au vote du Parlement. Pour nombre d’observateurs, il aura pour conséquence de pénaliser la contestation et le militantisme étudiants.
La genèse de cet article remonte aux séances de lecture du texte de la LPPR par le Sénat en entamées en octobre dernier. Le Sénateur UDI Laurent Lafon présente alors l’amendement 147 qui y introduit un « délit d’entrave », lequel punit « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité (…) dans le but d’entraver la tenue d’un débat. »
Le texte est voté par le Sénat le 30 octobre, puis soumis à l’examen d’une commission mixte paritaire nommée pour trancher les divergences persistantes avec l’Assemblée Nationale. Dans ce cadre intimiste réunissant 28 parlementaires (sénateurs et députés), les pouvoirs de cet amendement 147 sont discrètement démultipliés par sa mutation en l’article « 20bisAA ». Sera finalement passible de 3 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur (…) dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement. »
Cet article décalque quasiment mot pour mot les termes d’un article du Code pénal issu de la Loi contre les violences de groupe, adoptée en 2010 dans le sillage du programme électoral de Nicolas Sarkozy, qui punissait « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement scolaire dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ». Du NPA au PS en passant par le Syndicat de la Magistrature, les forces de gauche s’étaient alors accordées pour y dénoncer une résurgence des « lois anti casseurs », terreau de la pénalisation des mouvements contestataires.
Le corollaire de cette disposition a de quoi inquiéter. Christelle Barbier, enseignante à l’EHESS, expliquait mercredi matin sur France Culture que la loi participera de l’amenuisement de la « franchise universitaire ». Celle-ci naît au XIIIe siècle, lorsque le pape consacre l’indépendance juridique et intellectuelle de l’Université de Paris et de ses étudiants vis-à-vis du pouvoir civil. Traduite dans le droit moderne et confirmée par le Code de l’éducation, cette franchise confie au directeur d’université la prérogative exclusive de solliciter l’intervention des forces de l’ordre au sein du campus… excepté en cas de flagrant délit, relevant donc du droit pénal. Pour les universitaires du site Academia, la fabrication de ce nouveau délit aux contours brumeux consacrera l’illégalité des occupations de facultés, et ouvrira la voie à la pénalisation des mobilisations étudiantes sur les campus.
La contestation de la LPPR est très vivace en ligne, mais le confinement réduit drastiquement les moyens de mobilisation à son encontre. Une pétition requérant sa suspension a recueilli près de 28 000 signatures. La Sénatrice PS Sylvie Robert a promis un recours devant le Conseil Constitutionnel en sortant des discussions de la commission paritaire. L’examen du texte préalable à son vote par l’Assemblée Nationale commencera le 17 novembre.
Photo : Elisabeth Godefroy