Avec la signature du cessez-le-feu la semaine dernière, l’Arménie est contrainte de céder le contrôle de la quasi-totalité du Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan. En signe de riposte, des habitants ont décidé de brûler leurs maisons avant de partir, tandis que l’Arménie s’inquiète du devenir du patrimoine culturel et religieux de la région.
Depuis le 27 septembre dernier, la guerre du Haut-Karabagh a repris dans le Caucase. Le territoire s’était auto-proclamé « République d’Artsakh » au moment de l’indépendance des Républiques soviétiques au début des années 1990, ce qui avait provoqué une guerre sanglante entre l’Arménie (qui soutient l’Artsakh) et l’Azerbaïdjan. Le conflit était « gelé » depuis 1994 avec la signature d’un cessez-le-feu, mais divers combats éclataient toujours régulièrement dans la région.


Ces dernières semaines, la violence des combats avait toutefois repris en intensité, notamment avec les récents bombardements de Chouchi, ville historique proche de la capitale désormais en partie en ruine, Stepanakert. Après avoir pris Chouchi avec l’aide de la Turquie, l’Azerbaïdjan se trouvait en position de force et la violence de la crise a appelé la communauté internationale à agir.
Dans ce conflit, meurtrier des deux côtés, l’Arménie rapporte plus de 2300 soldats décédés, ce qui est sans compter les pertes civiles, les blessés, ou encore les réfugiés. De son côté, l’Azerbaïdjan n’a pas communiqué ses pertes militaires, seulement les 93 civils tués dans son camp. Le président russe Vladimir Poutine a quant à lui affirmé qu’il y aurait eu environ 4.000 morts et 8.000 blessés, un bilan est encore provisoire.
Cette crise humanitaire est d’autant plus grave que le Caucase est, comme dans le reste de l’Europe, menacé par la pandémie de Covid-19. Dans ces conditions, l’accès aux masques est restreint, et les habitants ont dû s’entasser dans des lieux mal ventilés, tant de conditions propices à la propagation du virus. Il y a quelques semaines, les hôpitaux d’Erevan (en Arménie) tiraient la sonnette d’alarme, et réclamaient l’aide internationale.
La diaspora arménienne s’était de son côté mobilisée partout dans le monde et notamment en France pour faire cesser le conflit, comme à Lyon, Marseille ou Paris en octobre dernier. Plusieurs différends entre turcs et arméniens avaient aussi éclatés ces dernières semaines à ce sujet.
Un accord de paix contraignant pour l’Arménie
Face à cette situation, un accord de paix à l’initiative de la Russie a été signé entre Erevan et Bakou le 10 novembre dernier. Un mois plus tôt, le 10 octobre, le cessez-le-feu avait été un échec, puisque de nouveaux combats éclataient à peine quelques heures plus tard. Cette fois-ci, des conditions ont été posées pour garantir la paix, et la Russie a annoncé déployer près de 2000 soldats pour assurer le respect du texte.
L’Arménie, en position très défavorable, a dû accepter les conditions assez désavantageuses du cessez-le-feu. En effet, la majorité des terres du Haut-Karabagh, alors en relative autonomie, sera sous contrôle de l’Azerbaïdjan.
Pour le président azéri Ilham Aliyev, il s’agit en tout cas d’une « capitulation » des arméniens, et les Azerbaidjanais ont pu célébrer la « victoire » dans les rues de Bakou. La Turquie n’a quant à elle pas tardé à féliciter son allié.
Les Arméniens n’ont, de leur côté, pas caché leur déception et leur colère, notamment envers leur premier ministre Nikol Pachinian qu’ils accusent de traitrise. Juste après la signature, des manifestants avaient pénétré l’Assemblée nationale, et agressé son président, Ararat Mirzoïan.
Le futur statut de la province demeure toutefois encore imprécis. Jusqu’à présent la « République d’Artsakh » était sous juridiction azerbaidjanaise, mais vivait en quasi indépendance, conservant un lien très fort avec l’Arménie. La plupart des Arméniens estiment aujourd’hui être privés d’une partie de leur territoire, même si le statut juridique de cet espace demeurait relativement incertain jusqu’alors.
La stratégie de la terre brulée en dernier recours
Une partie des habitants de la région, contraints à l’exil, ont par ailleurs décidé d’incendier leurs maisons pour ne rien laisser derrière eux. C’est ce qu’on appelle la politique de la terre brulée, une pratique ancienne (l’exemple le plus courant étant lors de la campagne de Russie en 1812, où les Russes cherchaient par ce moyen à ralentir les troupes de Napoléon Bonaparte) et généralement utilisée en dernier recours. Il s’agit de détruire ses propres ressources pour les rendre inutilisables à l’adversaire.
Ici, les habitants, qui pour certains habitent dans la région depuis plusieurs générations, savent qu’ils ne reviendront plus. Pour les familles, il s’agit d’un véritable déchirement : certains déplacent même les tombes familiales, craignant les pillages.
Une forte inquiétude pour le patrimoine culturel et religieux de la région
Nariné Toukhinian, vice-ministre arménienne de l’Education, de la Science et de la Culture a exprimé à l’AFP sa grande préoccupation, soulignant que des profanations avaient déjà eu lieu par le passé. À Chouchi, la Cathédrale Ghazanchetsots, une des plus grandes églises du monde arménien, avait notamment été intentionnellement bombardée le 8 octobre dernier, provoquant plusieurs blessés et l’effondrement du toit.


Le Haut-Karabagh, habité depuis des siècles, possède en effet un riche patrimoine religieux : plusieurs églises et monastères, comme celui de Dadivank, en hauteur, au beau milieu de la forêt et datant de 1214.


Néanmoins, le cessez-le-feu devrait inclure une clause concernant la conservation du patrimoine. Cette information reste à être confirmée par la suite.