Ce mardi 17 novembre sortait simultanément dans 23 pays le premier tome des mémoires de Barack Obama, Une Terre Promise. A cette occasion, France 2 a obtenu une interview inédite, menée par le journaliste littéraire François Busnel. Dans cette interview, l’ancien président des Etats-Unis revient sur sa présidence, les défis actuels d’une Amérique divisée, mais aussi sur son amour de la littérature.
Le premier tome des mémoires de Barack Obama est désormais disponible en librairie. En près de 800 pages, il raconte son premier mandat, du 4 novembre 2008 où il devient le premier Afro-Américain à accéder à la fonction de président, jusqu’à l’opération périlleuse menée contre Ben Laden en 2011.
Fils d’un Kényan noir et d’une Américaine blanche du Kansas, Barack Obama est né en 1961 : il est donc non seulement le premier président noir de l’Histoire des Etats-Unis mais aussi un des plus jeunes. Après des études à l’université de Colombia puis à celle de Harvard, il devient avocat en droit civil avant de rentrer en politique en 1996 et d’être élu sénateur démocrate de l’Illinois l’année suivante. Il se fait connaitre en s’opposant à la guerre d’Irak lancée par George W. Bush en 2004. En 2008, il obtient 365 grands électeurs face au républicain John McCaine. A titre de comparaison, Joe Biden en a obtenu 306 au début du mois de novembre.
Ce premier mandat est marqué par un certain nombre de crises. Il doit notamment redresser le pays durement touché par la crise économique des subprimes de 2007-2008. Il devient également chef de guerre en Afghanistan (où le conflit dure depuis 2001) ou au Moyen-Orient.
Une interview très convoitée
Exceptionnellement, France 2 a pu obtenir une interview exclusive de l’ancien président des Etats-Unis. Filmée à Washington quelques jours plus tôt et diffusée juste après le journal de 20h, ce fut pour la chaine un grand coup médiatique, qui a, par ailleurs rassemblé 6,02 millions de spectateurs (au dessus de leur moyenne d’audience). Pour l’occasion, l’interview fut diffusée dans son intégralité pendant 30 minutes.
Les négociations ont néanmoins été difficiles, face à des concurrents de poids comme TF1, qui espérait pouvoir la diffuser dans Sept-à-Huit avec Harry Roselmack. France Télévision a fini par convaincre Barack Obama en promettant d’axer l’entretien sur la littérature, d’où le choix, plutôt qu’Anne-Sophie Lapix, qui présente le journal de 20h, de François Busnel, journaliste littéraire présentateur de l’émission la Grande Librairie sur France 5 depuis 2008.
« C’est un écrivain avant d’être un président. Je suis admiratif de sa capacité à manier les mots. Alors que les mémoires des autres présidents comme Bill Clinton ou les Bush, écrits par d’autres, étaient très mauvais. »
François Busnel, à propos de Barack Obama et de son livre Une Terre Promise
Une interview entre politique et littérature

L’ancien président s’est tout d’abord exprimé sur l’élection récente de son ancien vice-président, Joe Biden.
Pour Barack Obama, cette élection laisse l’espoir d’une réconciliation nationale dans un pays très divisé. Il admet que cette division ne date pas de Donald Trump, mais que la tendance s’est sans aucun doute accélérée sous présidence. Pour lui, Joe Biden et Kamala Harris représente un « retour à certaines normes, à certains usages de respect dans le traitement de l’opposition politique, d’obéissance à certaines pratiques institutionnelles qui sont essentielles à notre démocratie »
François Busnel l’a aussi interrogé sur le contraste saisissant entre sa présidence et l’élection de Donald Trump en 2016.
L’ancien dirigeant s’est lui-même admis surpris le soir de l’élection, d’autant qu’il fut populaire tout au long de sa présidence. Avec du recul, il met cet évènement sur le compte de divisions au sein du monde rural, entre des zones qui ont bénéficié de l’intégration à la mondialisation et d’autres non. Il pense également que les médias de droite (parmi lesquelles sans nul doute FoxNews) ont encouragé les Américains à penser que l’Amérique qu’ils aimaient n’existent plus : une idée largement reprise par Donald Trump.
Il se rappelle particulièrement du moment où il a dit prendre ce qu’il nomme comme « la décision la plus risquée » de sa carrière, soit le raid lancé contre Ben Laden en 2011. Au même moment, Donald Trump diffusait des rumeurs injustifiées à son égard sur le fait qu’il ne serait pas né aux Etats-Unis.
N’étant pas un grand adepte de la télévision et des réseaux sociaux à l’époque, il admet avoir sous-estimé le poids médiatique que prendrait Donald Trump. Il regrette par ailleurs que « le spectacle, le bruit et le conflit » soient bien plus rentables en termes d’audience que « le débat, l’empathie et l’écoute », dans une société de plus en plus visuelle. Cette tendance est d’autant plus palpable sur internet, note-il enfin.
La question raciale : le défi de l’Amérique
Aux Etats-Unis, la question raciale a ressurgit ces derniers mois avec le mouvement Black Lives Matter, en réaction à la médiatisation de plusieurs faits de violences policières, comme le décès de George Floyd ou de Breonna Taylor.
Selon Barack Obama, l’Amérique ne peut pas surmonter ce problème en faisant comme s’il n’avait jamais existé, car l’esclavage ou la ségrégation représentent une réalité non seulement récente (le Civil Right Act qui y met fin ne date que de 1964) mais qui par ailleurs a laissé des traces très visibles, notamment avec la Covid-19. Les plus touchés par l’épidémie, note-t-il, sont des noirs, car en majeure partie plus pauvres, et donc ayant un accès à la santé, à une alimentation équilibré, et à un environnement sain bien plus limité.
Il faut selon lui faire face à son passé pour mieux le surmonter, comme l’Allemagne a affronté après 1945 la mémoire douloureuse de la Seconde Guerre Mondiale.
Un point de vue intime de l’exercice du pouvoir
Le but de ce livre, dit-il, est de montrer que ceux qui accèdent à des postes de pouvoirs sont encore des êtres humains.
Être président des Etats-Unis, rappelle-t-il, c’est à la fois assumer des fonctions bureaucratiques et représenter une certaine image publique. Il admet, de fait, avoir été particulièrement déstabilisé une fois élu par l’aspect symbolique de la fonction (les cérémonies, le protocole) puisqu’il vivait jusqu’ici une vie relativement normale.
Dès 2008, il a conscience d’être idolâtré plus qu’il n’aurait dû l’être, et prend l’exemple du Prix Nobel de la Paix qu’il reçoit en 2009, après à peine un an d’exercice. Bien que flatté, il estime que cette récompense était prématurée, d’autant qu’il venait tout juste d’envoyer un renfort de troupes en Afghanistan.
« Il y avait une ironie entre le fait que je sois président en temps de guerre et que je reçoive ce prix de la paix »
Barack Obama
Il a pensé alors que c’était avant tout un prix d’encouragement et s’est engagé à poursuivre ses efforts : sur la non-prolifération nucléaire, le paix au Moyen-Orient ou le changement climatique. Il fallait qu’il fasse son possible pour pousser le pays vers une position « plus juste, plus égale », pour que certaines personnes aient un meilleur accès à la santé, ou sortent de la pauvreté.
Il souhaite par ce livre démystifier la fonction. Selon lui, le plus grand danger est de s’habituer et prendre goût à son succès, au point de ne plus se remettre en question. Si les électeurs élisent un président, ils peuvent aussi le démettre, souligne-t-il, sans doute en référence à son successeur qui refuse toujours d’admettre sa défaite.
Un « éloge à la littérature »
Lors de cette interview, Barack Obama a souligné l’importance capitale de la littérature dans sa vie. Lors de son passage à la Maison Blanche, il donnait régulièrement la liste des livres qui l’avaient aidé à gouverner. En cela ce nouveau livre (qui n’est pas son premier) se veut être un éloge de la littérature.
Il compare la littérature et la politique, en cela que la « bonne littérature vous sort de vous-même », et vous met, selon lui, à la place de personnes totalement différentes. Dans l’exercice de la politique et de la diplomatie, il a donc toujours cherché à comprendre la position des uns et des autres, y compris de ses adversaires.
Parmi les auteurs qui l’ont le plus influencé figure Toni Morrison, lauréate du prix Nobel de Littérature de 1993 décédée l’an dernier. C’est pour lui quelqu’un qui l’a aidé à apprendre à écrire, alors qu’il n’avait jamais suivi de formation quelconque. L’humanité qui transparaissait de ses écrits est ce qui l’inspire aujourd’hui, et il pense que là réside le rôle de l’écrivain aujourd’hui. En écrivain comme il fut président, il se garde comme objectif de toujours faire preuve d’humanité : « Quelle aventure que d’essayer de rendre le monde meilleur » conclut-il.
L’interview en intégralité de Barack Obama est disponible sur le site internet de France Info.
Une Terre Promise, le premier volume des mémoires de Barack Obama est quant à lui disponible dans vos librairies, en stock ou sur commande sur le site librairiesindependantes.com où sont référencées des librairies indépendantes partout en France.