L’écriture est enfantine, avec ses boucles rondes et ses points bien dessinés sur les i, le vocabulaire est soigné… Mais le texte est confus. L’auteur, anonyme, y dénonce le « racisme », les « discriminations » dont il estime pâtir. Dans la marge, la menace affleure au détour d’une phrase : « Vous allez tous brûler en enfer ».
Le feuillet, arraché à un grand cahier d’écolier, a été trouvé jeudi, à Bobigny, placardé à l’entrée de la Cellule départementale d’accueil des mineurs non accompagnés (CAMNA) de Seine-Saint-Denis. Il citait le nom d’une cadre du service. Un second message similaire a été collé derrière le bâtiment. Lundi, déjà, une autre missive, plus courte, a été découverte par le personnel.
Droit de retrait
L’incident a conduit les travailleurs sociaux à faire valoir, le temps d’une heure ce vendredi, leur droit de retrait – qui permet aux salariés, estimant être face à un danger grave et imminent, de cesser le travail.
« Ce n’est pas la première fois que ça arrive, tempère une éducatrice. Des menaces, des agressions, on connaît ça de temps en temps. Le problème, c’est qu’on fait face à une charge de travail très supérieure à ce qu’elle devrait être. Il y a un ras-le-bol général. On est frustrés de ne pas pouvoir aider correctement les jeunes qu’on nous confie. Certains dorment dans des hôtels pourris ! » Et elle ajoute : « Je ne cautionne pas ce qui est écrit sur la porte, mais je peux le comprendre. »
Accueil pour les mineurs arrivés seuls en France
La CAMNA, créée en novembre 2018, a vocation à offrir un accueil spécifique aux adolescents venus de l’étranger et arrivés seuls en France. Ils sont particulièrement nombreux – 1 700 environ – à être pris en charge en Seine-Saint-Denis, au titre de la protection de l’enfance.
La cellule de Bobigny en suit 1457 : les agents les reçoivent, leur distribuent une allocation, les épaulent dans leurs démarches… Mais elle peine à trouver son rythme de croisière, assurent les éducateurs : « Il y a un turn-over énorme », glisse l’une d’elles, tandis qu’un autre indique être en charge de 150 dossiers. On raconte le cas de ce jeune, placé à l’hôtel, qui a disparu il y a quelques semaines. Il a réapparu, et « est très mal ». Il laisse des flopées de messages menaçants sur le répondeur d’une éducatrice.
« Manque de moyens »
Pour le syndicat FSU Territoriale, venu soutenir le personnel, « ces menaces inacceptables sont la conséquence du manque de moyens pour l’accueil des mineurs non accompagnés, qui se retrouvent dans des situations désespérées et s’en prennent à leurs premiers et seuls interlocuteurs : le personnel de la CAMNA. » La CAMNA dispose en théorie de 18 postes d’éducateurs. Seuls 11 d’entre eux (bientôt 12) sont pourvus aujourd’hui.
Du côté de la direction départementale de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), on rappelle que « beaucoup de postes ont été créés » au sein de la CAMNA depuis son ouverture – un mouvement de grève avait déjà eu lieu en 2019.
Sécurité renforcée
La direction pointe « une difficulté de recrutement, un manque de vocations valable pour tous les postes de travailleurs sociaux » : « Nous travaillons à promouvoir ces métiers et à élargir les profils. » Le conseil départemental en appelle régulièrement à l’Etat, pour faire face à la charge financière croissante que représente la prise en charge des MNA.
Une plainte a été déposée suite aux messages de menaces, la sécurité du site a été renforcée et un accompagnement psychologique proposé.