Une forte mobilisation de la part des associations et de l’État a été de mise durant la pandémie pour lutter contre le sans-abrisme et soutenir les mal-logés. Malgré des places d’hébergement d’urgence saturées et une trêve hivernale qui se prolonge jusqu’en avril 2021, les associations d’aides au logement tentent de trouver des solutions d’hébergement et de maintenir leur action sociale, dans le contexte de crise sanitaire, pour la vague de population précaire qui sollicite de plus en plus les aides associatives. Reportage.
La période COVID, une épreuve qui accentue les difficultés de vie des SDF.
La situation des sans domicile fixe ainsi que des mal-logés est devenue de plus en plus grave au fil des années. Selon la Fondation Abbé Pierre, la France compte près de 300 000 SDF, dont 185 000 en centre d’hébergement et 16 000 dans des bidonvilles. Dans un rapport datant de novembre 2020, la Fondation évoque une hausse du nombre de mal-logés cette année, 3 953 000 contre 3 798 000 en 2016.
Avec une augmentation de la précarité, de nombreuses mesures gouvernementales ont tenté de protéger la catégorie des sans-abris contre les problèmes de santé physique et mentale qu’expose le virus. Dans une publication, le Samusocial, une association qui effectue des maraudes en aide aux sans-abri, avance que les facteurs comme « l’isolement, les repères bousculés, la peur de la contamination, les difficultés à se fournir un masque, à se faire dépister et accéder aux soins, les risque de verbalisation même si les autorités ont été sensibilisées à ce sujet », rendent l’expérience du COVID particulièrement éprouvante, pour les plus démunis. « Nos maraudes continuent d’aller à la rencontre des personnes pour maintenir un lien social. Nos professionnels salariés distribuent boissons chaudes, duvets et vêtements. Quelques personnes peuvent être accompagnées dans l’un de nos centres pour la nuit après avoir pris leur température, afin de garantir la sécurité des personnes hébergées. Pour celles présentant des symptômes, un relais est opéré par la maraude de jour qui peut effectuer un test PCR. La crise sanitaire vient renforcer l’épreuve que constitue la vie à la rue » témoigne l’association.
Pour répondre aux conséquences alarmantes que constatent les travailleurs sociaux, l’association Aurore, dont la mission d’accueillir et d’accompagner vers l’autonomie des personnes en situation de précarité et d’exclusion via l’hébergement, les soins et l’insertion professionnelle, a mis en place des solutions pour veiller à la santé de son public. « On continue nos actions habituelles, mais en parallèle nous avons créé des dispositifs ‘‘Centre COVID plus’’ durant le premier et le second confinement pour les sans-abris qui sont atteints du COVID-19. Cela nous permet, avec l’aide de nos équipes médico-sociales, de les isoler, de les soigner et de surveiller leur état de santé. On essaye aussi de trouver des solutions d’hébergement pour ces personnes lorsqu’ils quitteront le centre. »
Face à la nouvelle problématique sanitaire avec laquelle doivent faire face les nombreux sans-abris, l’État avance de nouvelles dispositions. Plus de « 1600 places de centres d’hébergements spécialisés dans l’accueil des personnes sans domicile malade du COVID non grave pour accueillir tous les publics ne pouvant être pris en charge du point de vue sanitaire dans des centres d’hébergement généralistes » ont été mis en place avance la Direction Générale de la Cohésion Social (DGCS). En vue de faciliter la mise en place de l’organisation inédite à laquelle doivent se soumettre les associations, mesures sanitaires obligent, la DGCS prévoit d’allouer 4M€ supplémentaires au renfort des accueils de jour entre 2020 et 2021. « Ces crédits permettront d’accroître le panier de services des accueils, d’élargir les plages horaires ou encore de diversifier les modes d’intervention » déclare l’organe du gouvernement.
Les associations tentent de s’adapter aux mesures sanitaires.
Par le biais de nombreuses associations, les maraudes s’intensifient pour garder un contact avec les populations sans-abris. Mais selon le Samusocial, la situation sanitaire rend l’action des associations plus difficiles « déjà en mal de bénévoles, les associations peinent à maintenir leurs actions. » Le Collectif des Associations Unies (CAU) – réunissant 35 organisations nationales de lutte contre les exclusions impliquées dans le champ du logement et/ou de l’hébergement – alerte sur l’effet de la crise sanitaire qui complexifie le travail des travailleurs sociaux. Une des causes, les restrictions sanitaires qui perturbent l’action des associations sur le terrain. « Dans ce contexte de pénurie, le principe d’accueil inconditionnel et celui de la continuité de l’accueil, sont quotidiennement remis en cause » soutient le CAU.
L’association « Accueil de jour rives de seine », située à Bezons, est restée ouverte durant toute la période de crise sanitaire « on sait que si l’on n’ouvre pas beaucoup vont dormir à la rue. » Pour l’association dont l’objectif est d’accueillir des sans-abris en journée pour leur fournir des repas, un endroit où se reposer, se doucher, une domiciliation ainsi qu’une aide administrative, il était impossible de fermer ses portes durant les périodes de confinement.
Ainsi pour fonctionner dans le contexte de pandémie, l’association a dû revoir son organisation, « notre ouverture est indispensable pour de nombreuses personnes, pour le soutien administratif que l’on propose. Avec le COVID, les travailleurs sociaux qui accompagnent les personnes demandant une aide administrative ont continué leur mission mais en faisant moins de permanence. Nous avons aussi limité la capacité de notre espace d’accueil, pas plus de 25 dans notre enceinte. On a appliqué le protocole sanitaire, on respecte les règles de distanciation, les personnes qui viennent pour utiliser nos services sont masquées et on fournit du gel pour se laver la main dès leur entrée dans nos locaux. »
Cette capacité d’accueil revue à la baisse c’est aussi ce que le CAU constate pour de nombreuses associations, « en journée, les contraintes liées aux mesures sanitaires diminuent les capacités de prise en charge des accueils de jour, avec des personnes qui se retrouvent à la rue toute la journée, en rupture d’accompagnement et de lien social. »
Pour l’association d’accueil de jour de Bezons qui reçoit des dizaines de personnes par jour, il a fallu s’adapter « nous servons près de 45 repas par jour pour environ 65 personnes, on a adapté notre service, les personnes entrent par vagues de 25. Ensuite avant d’accueillir les prochains il faut désinfecter les chaises et les tables. »
Mais cette organisation inédite demande aux salariés plus de travail. Combinée à un manque d’effectif, le syndicat SUPAP-FSU alerte quant à la situation difficile que vivent les travailleurs sociaux, « au centre d’action sociale de la ville de Paris, la moyenne des postes vacants du secteur social est de 20 %, sans tenir compte des postes non remplacés pour congés maternités, congés parentaux et maladie. Il s’agit d’une situation grave et inédite qui met en péril nos pratiques de travail, le service public et finalement nos usagers. Avec la pénurie de moyens, nous devons maintenant gérer la pénurie de collègues. »
Une demande d’hébergement d’urgence qui continue de flamber.
La problématique du logement a également été gravement perturbée avec les restrictions sanitaires comme les confinements et le couvre-feu. Pour loger de nombreux sans-abri dans le contexte pandémique, l’État a réquisitionné un parc hôtelier ainsi que des logements d’urgence. Ainsi près de 35 000 places ont été mises à disposition des plus précaires depuis le début de la crise sanitaire. Début octobre, c’est plus de 9 000 places d’hébergement hivernaux qui sont débloquées pour le plan hivernal, un dispositif exceptionnel qui vient comptabiliser plus de 190 000 places d’hébergement d’urgence pour les plus démunies. Malgré ce chiffre imposant, le dossier du sans-abrisme est loin d’être entériné puisque le 115 continue d’être surchargé d’appels. Rien que le 13 novembre 2020 le numéro a recensé plus de 3 500 appels qui donnent lieu, dans 80 à 90 %, à l’absence de solution d’hébergement. La cause selon l’association Aurore à un dispositif d’hébergement d’urgence surchargé.
Les associations notent une paupérisation de la population.
En plus de la catégorie des sans-abris, de nombreuses personnes ayant subi la crise économique de plein fouet ont vu leur activité salariale se stopper avec le confinement et venir les précariser encore plus. Résultat, de plus en plus de personnes viennent solliciter des aides associatives dans la distribution alimentaire mais aussi dans l’accès à l’hébergement. C’est le constat que fait le CAU, « de nouveaux publics, jeunes, familles monoparentales, travailleurs précaires sollicitent des distributions alimentaires. Cela témoigne de la paupérisation d’une partie importante de la population. »
L’association Aurore a vu arriver de nouvelles catégories de public durant la crise sanitaire, « dans la situation de crise économique, on voit arriver des publics différents qui sont en situation de précarité : des étudiants, des auto-entrepreneurs, des familles monoparentales. Ce sont des gens qui travaillent dans des secteurs impactés comme la restauration, le tourisme, l’événementiel ou dans l’auto-entreprenariat. Certains n’ont pas de chômage, donc plus d’argent. Ces nouvelles personnes, qui ne s’attendaient pas à être dans la rue, se retrouvent dehors. Ils n’avaient rien demandé à personne, ils arrivaient à vivre, à payer leur loyer et aujourd’hui ils ne le peuvent plus.” En attendant de trouver une solution d’hébergement plus stable, les personnes n’ayant plus la possibilité d’être hébergé peuvent être en théorie accueillies dans des CHU (centre d’hébergement d’urgence) ou autres centres adaptés. Mais là encore ces établissements sont saturés. Pour l’association Aurore qui gère des dossiers de demandes d’hébergement d’urgence, cette situation n’est pas intrinsèquement liée à la crise sanitaire. « Les CHU sont pleins, avec ou sans le COVID. Il y a beaucoup plus de demandes que de places disponibles. Lorsqu’une place se libère en CHU, elle reste disponible seulement quelques heures. » La conséquence de cette saturation du parc d’hébergement, les alternatives pérennes aux expulsions et à la recherche de logement sont rares. Selon les chiffres de l’Observatoire des expulsions des lieux de vie informels : sur les 1 079 expulsions depuis le 31 octobre 2019 – dont 699 depuis le début de la crise sanitaire – 90 % n’ont pas été suivies d’une solution de logement ni d’hébergement.
Pour le CAU, ce phénomène devrait encore s’aggraver dans le futur, « dans les mois à venir, l’affaiblissement des ressources conjugué à l’augmentation des charges liées au logement risque de mettre de nombreux locataires en difficulté pour payer leurs quittances de loyer et leurs factures d’énergie, faisant craindre une vague d’expulsions importantes dans les mois qui suivront la fin de la trêve des expulsions locatives, en avril 2021. »
Afin de faire face à cette menace, l’association Aurore travaille sur la prévention, « il faut mettre en place des filets de sécurité pour ces personnes en activant toutes les aides auxquelles elles pourraient avoir droit sans forcément être au courant. Nous devons aussi réussir à les repérer, à les identifier ainsi qu’à les réorienter pour les maintenir dans leur logement le plus possible et trouver toutes les aides qui leur empêcheraient de dégringoler un peu plus. Notre travail se concentre plus là-dessus, car malheureusement il n’y a pas assez de places d’hébergement. »
« Il faut plus de logements sociaux ».
Malgré les dispositions prises par le gouvernement et le travail des associations, la situation reste loin de se réguler. Pour l’association Aurore, ainsi que la fondation Abbé Pierre, l’État doit revoir son projet « Logement d’abord ». Cette loi fut mise en place en 2018, sous le quinquennat de Macron, avec comme objectif de lutter contre le sans-abrisme ainsi que le mal-logement en « produisant et mobilisant plus de logements abordables et adaptés aux besoins des personnes sans-abri et mal logées » mais aussi en « accompagnant les personnes sans domicile et favoriser le maintien dans le logement pour les personnes défavorisées. »
Avec la crise sanitaire le projet de la loi « Logement d’abord » a été court-circuité. Dans une circulaire adressée aux préfets des départements et des régions, la DGCS demande « une amélioration de la connaissance des publics à la rue dits « invisibles » et ne sollicitant plus le 115 ». Pour ce faire, la DGCS souhaite « systématiser le recensement du nombre de personnes ayant été accueillies ou repérées par les acteurs de veille sociale », avec dans l’idée de centraliser les données des maraudes et des services sociaux pour prévoir des réponses de grande ampleur. Mais pour le syndicat SUPAP-FSU, afin de lutter contre cette crise du logement, le gouvernement doit en priorité allouer des moyens financiers « à la hauteur des besoins de la population et l’accès à toutes et tous des moyens de vie décente, en commençant par l’inconditionnalité d’un accès à un logement salubre et adapté ». Pour l’association Aurore, afin de sortir de l’engrenage des logements de transit, les villes doivent construire plus de logements sociaux pour héberger des personnes de manière pérenne. Selon un rapport de la Fondation Abbé Pierre, il faudrait construire 150 000 logements sociaux par an pour sortir les gens de la rue et de l’hébergement d’urgence.