Violences conjugales en temps de confinement : les femmes toujours en danger

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Plus d’un an après le Grenelle des violences conjugales la question des violences au sein du couple demeure importante dans le débat public. Cette cause, entretenue par l’action quotidienne des associations et collectifs féministes se retrouve confrontée à une nouvelle inconnue ; la crise sanitaire et les confinements, au cours desquels ces violences ont à nouveau explosé.

Des confinements propices aux violences conjugales

« J’engage tous les gouvernements à prendre des mesures de prévention de la violence contre les femmes et à prévoir des recours pour les victimes dans le cadre de leur plan d’action national face au Covid-19 ». C’est par ces mots que le secrétaire général de l’ONU António Guterres exhortait à agir pour protéger les femmes au sein des foyers confinés alors que les signaux d’une hausse mondiale des violences conjugales commençaient à apparaître. Lors du premier confinement en France, on constate en effet une forte augmentation de l’utilisation des plateformes dédiées à l’aide des victimes, qui ont centralisé les témoignages.

Le 3919, principale ligne d’écoute et d’orientation, fait rapport de 3 fois plus d’appels que sur la même période en 2019. Plus flagrant encore, la Plateforme de signalements des Violences Sexuelles et Sexistes (PVSS) a vu la part de ses chats pour violences intrafamiliales passer de 13,4 % en 2019 à plus de 51,5 % sur la période du 16 mars au 4 mai 2020. Le reconfinement du mois de novembre offre moins de recul, même si la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, avance une augmentation des signalements d’au moins 60 %.

Le constat est donc clair : les confinements sont un terrain favorable aux violences conjugales. Une part croissante d’hommes s’est, durant cette période, rendu coupable de violences physiques (1 cas sur 2), psychiques (3 cas sur 4) et/ou sexuelles (1 cas sur 10), poussant femmes et proches de ces dernières à signaler ces comportements. Les mesures visant à limiter la propagation du Sars-Cov 2 ne sont néanmoins pas les seuls déterminants de cette flambée de signalements. En nous appuyant sur la date de l’ancienneté des faits déclarés par les femmes victimes de violences au sein du couple, on constate que les faits remontant au-delà du premier confinement représentent entre un tiers et la moitié des signalements. En somme, de nombreuses femmes ont rapporté des faits préexistants aux confinements, qui ont agi comme un déclencheur, ces dernières se retrouvant désormais enfermées avec un conjoint violent. Dans ce contexte, on peut légitimement se questionner sur la politique menée sur ce terrain depuis 2017 et les moyens mis en place.

Au même titre que la gestion de l’hôpital public, dont les faiblesses provoquées par les cures d’austérité successives sont apparues au grand jour lors des pics épidémiques, la question du budget qui alimente le Secrétariat d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes (SEEFH) demeure un sujet épineux opposant associations et exécutif.

Grande cause, petits budgets

Dans le sillage des révélations liées à l’affaire Weinstein, Emmanuel Macron avait martelé que la grande cause du quinquennat serait celle de l’égalité entre femmes et hommes. L’État, condamné trois fois pour faute lourde dans des affaires de féminicides, ne pouvait plus fermer les yeux et tolérer cette « honte de la république ». Si associations et personnalités féministes saluent les avancées d’un Grenelle très médiatisé contre les violences conjugales tenu à l’automne 2019 (bracelet anti-rapprochement, 1000 nouvelles places d’urgence pour les femmes fuyant leur conjoint, formation de gendarmes et policiers spécialisés, généralisation de l’emploi du terme « féminicide »), elles déplorent cependant le manque de moyens financiers alloués à ces ambitions et le mutisme de l’exécutif face à leurs revendications.

En réalité, les associations demandent au gouvernement un milliard d’euros. Derrière ce chiffre symbolique, ce budget permettra de mettre en œuvre une action concrète en renforçant le maillage entre associations, professionnels de santé, police, gendarmerie et justice pour accompagner au mieux les femmes dans leurs démarches, créer davantage de places d’hébergements spécialisés, mener un vrai plan d’éducation à l’égalité dans les écoles en mettant l’accent sur la prévention, enfin, de créer des centres (davantage que ceux prévus, à savoir deux par régions) pour suivre psychologiquement les agresseurs. Avec une enveloppe annuelle bloquée à 30 M d’euros dédiés au secrétariat d’État , le financement des multiples services souffre donc de carences, dont certaines se sont révélées dès les premières semaines du confinement.

Le 3919, déjà évoqué, se situe au cœur d’un large réseau national regroupant 73 associations. C’est souvent par ce numéro que les victimes osent se confier pour la première fois et sont conseillées pour s’orienter vers les organismes qui les aideront à la fois psychologiquement à panser leurs traumatismes et dans leurs démarches de dépôt de plainte. Si l’on analyse la fréquence des appels hors et en confinement, on dénombre 2145 appels reçus sur la semaine allant du 9 au 15 mars, contre plus de 8213 atteint un mois plus tard, en plein cœur du confinement (20-26 avril). On relève que si la valeur absolue des appels considérés comme « pris en charge » reste sensiblement la même (2145 en mars contre 2357 en avril), la proportion, elle, s’effondre, en passant de 90,8 % à moins de 28,6 %. Les appels non traités sont ainsi majoritaires durant cette période et beaucoup sont invitées à rappeler ultérieurement (35,6 %), les écoutantes ne pouvant pas traiter un afflux aussi conséquent et accomplir leur mission cruciale. 

Symptôme de l’incompréhension entre exécutif et acteurs du monde associatif, le gouvernement a annoncé à la mi-novembre sa volonté de lancer une procédure de marché public pour la gestion du 3919. Finalement abandonné la semaine dernière, ce projet a fait sursauter les associations, et en particulier celle qui a créé le numéro et s’en occupe depuis 1992 : la Fédération Nationale Solidarité Femmes. Dans un communiqué, sa présidente Dominique Guillien-Isenmann se réjouit de la décision et rappelle que « la FNSF appelle le gouvernement à prendre en compte sa demande de revalorisation de la subvention pour le fonctionnement du 3919 […] qui permettrait le passage rapide au 24 h/24 7 j/7, le renforcement du dispositif pour les femmes en situation de handicap ».

La question des financements est donc centrale dans le rapport de force qui oppose l’État aux militantes et associations, qui exhortent le président à revoir sa copie depuis le début du quinquennat. Ces dernières lui reprochent de s’être servi de la cause des femmes comme d’un tremplin médiatique, ce sujet incarnant le progressisme et lui permettant de jouir d’une bonne image dans les milieux étudiants et socialistes, pour en définitif ne pas prendre en considération les demandes des actrices et acteurs de ce milieu.

La crainte d’un troisième confinement

Le gouvernement estime pourtant qu’il a agi pour enrayer l’augmentation des violences au sein des foyers confinés. Sur les recommandations de l’ONU, de nombreux « points d’accompagnements éphémères » ont été mis en place dans les centres commerciaux ainsi qu’un dispositif d’alerte permettant aux femmes de signaler leurs situations dans les pharmacies. Aussi, il a augmenté le budget du SEEFH de 5 millions d’euros pour assister le réseau associatif, durcit et prioriser la réponse pénale de ces affaires et selon le dire des associations fait preuve de réactivité dans le placement des femmes en danger durant les confinements. Une réaction dans l’urgence donc, pour combler des carences provoquées par des financements restreints.

Caroline de Haas, figure féministe et fondatrice du collectif #NousToutes, arguait que le confinement était pour les femmes victimes de violences « comme la réalité, mais en pire ». Aux coups et à l’acharnement psychologique déjà présent, s’ajoute la présence quasi-systématique d’un bourreau dont les accès de violence deviennent mécaniquement plus nombreux. Dans ce contexte, les associations s’inquiètent en cas d’un troisième confinement. Simon Libeaut, chargé de mission de formation et d’animation de réseau à l’association VIFFIL de Lyon et contacté par Droitcitoyen, admet : « on espère forcément qu’il n’y aura pas un nouveau confinement serré […] on le craint ». En cause, la diminution des appels et signalements en gendarmerie après 18h depuis la mise en place du couvre-feu et l’inquiétude que la prise de parole ne s’opère plus autant qu’elle le devrait. 

La violence au sein du couple demeure donc prégnante dans la société française. Si le nombre de féminicides à sensiblement baissé au cours de l’année dernière (atteignant son niveau le plus bas depuis que ces données existent) avec 90 meurtres décomptés par le ministère de la Justice (contre 111 pour le collectif Collages féministes), les violences ont quant à elles atteint des niveaux peut-être inédits. Une raison de plus pour les sphères militantes de continuer leurs actions, qui vont du sitting aux collages, en passant par la médiatisation et la visibilisation de femmes en danger : « Il ne faut pas fermer les yeux : on entend la voisine crier, et on n’ose pas s’en mêler, ce n’est plus possible ! » explique l’une d’entre-elles. La nomination de Gérald Darmanin et son maintien en dépit d’une mise en accusation pour viol a tendu plus que jamais le dialogue entre associations et exécutif, et peu croient désormais que les choses bougeront véritablement d’ici la fin du quinquennat.

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