Le 1er mars 2021, Nicolas Sarkozy a été reconnu coupable de « corruption » et « trafic d’influence » dans l’affaire des écoutes dite « affaire Paul Bismuth ». C’était la première fois qu’un ancien président de la Ve République comparaissait devant un tribunal pour des faits de corruption, l’occasion de faire le point sur les diverses enquêtes et affaires judiciaires dans lesquelles Sarkozy est actuellement mis en cause.
L’affaire des écoutes
À la fin de l’année 2013, la justice décide de mettre sur écoute l’ancien président de la République dans le cadre d’une enquête sur les potentiels financements libyens de la campagne présidentielle de 2007. Mais au cours de leurs investigations, les enquêteurs découvrent l’existence d’une ligne téléphonique parallèle à celles déjà utilisées par Nicolas Sarkozy, et exclusivement réservée aux échanges avec son avocat Thierry Herzog. C’est la ligne dite Paul Bismuth, nom d’alias de Nicolas Sarkozy, en référence au nom d’un ancien camarade de classe d’Herzog.
L’affaire change alors complètement de direction, et les juges décident de délaisser la piste libyenne pour se concentrer sur ce qui se dit sur la ligne téléphonique parallèle. À l’époque, Nicolas Sarkozy et son avocat sont préoccupés par le jugement à venir de la Cour de Cassation, relatif à l’affaire Bettencourt dans laquelle Sarkozy est poursuivi pour « abus de faiblesse » sur la personne de Liliane Bettencourt. Dans ce contexte, les juges découvrent que Sarkozy et Herzog semblent obtenir des informations supposées confidentielles sur la procédure en cours de la Cour de Cassation. C’est Gilbert Azibert, le premier avocat général de la Cour de Cassation, qui leur fournirait des éléments relatifs à la décision à venir. En échange, Thierry Herzog et son client lui auraient promis un poste au Conseil d’Etat de Monaco.
Malgré l’absence de preuves matérielles (Azibert n’a finalement jamais obtenu le poste de conseiller d’état à Monaco, et la Cour de Cassation a jugé irrecevable le pourvoi de Nicolas Sarkozy), le parquet national financier estime en 2017 qu’il existe des charges suffisantes contre l’ancien chef d’Etat, son avocat, et Gilbert Azibert. Ils sont alors poursuivis pour corruption et trafic d’influence, et les deux avocats le sont également pour violation du secret de l’instruction. Ils ont tous les trois été condamnés à trois ans de prison, dont un an ferme.
La ligne de défense de Nicolas Sarkozy reste la même tout le long de l’enquête et du procès. Selon lui, il est innocent, et compte faire appel : les autorités monégasques ont confirmé que l’ancien chef d’Etat français ne leur avait pas mentionné une possible mutation au Conseil d’Etat de Monaco en faveur de Gilbert Azibert. Seulement, il n’est pas nécessaire pour la justice que « le pacte corrupteur soit effectivement réalisé pour caractériser l’infraction ». En bref : l’intention même d’intervenir auprès du prince Albert de Monaco en faveur de Gilbert Azibert, tel qu’il en était question dans les échanges téléphoniques interceptés entre Nicolas Sarkozy et son avocat sur la ligne Paul Bismuth, est répréhensible.
L’affaire Bygmalion
Cette affaire porte sur les financements, soupçonnés illégaux, de la campagne présidentielle de 2012 de Nicolas Sarkozy, et a été renvoyée en procès. L’ancien chef d’Etat doit comparaître devant le tribunal correctionnel du 15 mars au 17 avril 2021.
En 2012, le parti Les Républicains, alors UMP, est soupçonné d’avoir élaboré de fausses factures afin de masquer les coûts réels de la campagne de Nicolas Sarkozy de manière à ce que ces dépenses restent inférieures au plafond autorisé par la loi, à savoir 22,5 millions d’euros. En cas de dépassement de ce plafond est prévue une annulation du remboursement d’une partie des frais de campagnes. Si l’on se penche sur les campagnes respectives de François Hollande et de Nicolas Sarkozy en 2012, il est clair que le parti de droite a déployé plus de moyens. De janvier à mars 2012 : l’UMP organise 40 meetings, là où le PS n’en fait que 10. De plus, les rassemblements qu’organisent l’UMP pour ses militants sont spectaculaires : ils ont lieu dans de grandes salles, des musiques sont composées pour l’occasion, l’éclairage est digne d’un concert… Par exemple, les dépenses liées aux moyens vidéo représentent plus de 50% des factures. C’est l’agence de communication Bygmalion qui s’occupe de l’organisation de ces meetings de campagne. Elle a été recommandée à l’UMP par Jean-François Copé, alors secrétaire général du parti, et ami des dirigeants de Bygmalion, Bastien Millot et Guy Alvès.
Mais au mois de mars 2012, l’expert-comptable du parti Pierre Godet, alerte le directeur de campagne Guillaume Lambert : les comptes prévisionnels pour l’organisation de 15 meetings dépassent déjà le plafond des 22,5 millions prévu par la loi. L’UMP aurait alors proposé à Bygmalion de faire passer une partie des dépenses de la campagne de Sarkozy pour des dépenses du parti. Une double comptabilité aurait alors été établie par Bygmalion, et l’UMP aurait généré de fausses factures pour justifier des dépenses imaginaires. Les enquêteurs ont estimé que 18,5 millions d’euros de fausses factures ont été réglées par l’UMP, et Nicolas Sarkozy comme Jean-François Copé affirment qu’ils n’en connaissaient pas l’existence.
Le financement libyen de la campagne de 2007
Dans cette affaire-là, c’est le financement de la campagne présidentielle de 2007, et non celle de 2012, qui est remis en cause. Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir financé une partie de sa campagne grâce à des fonds fournis par l’ancien dictateur Libyen Mouammar Kadhafi. Si les enquêteurs n’ont pas encore trouvé de preuves indiscutables, la justice a tout de fois estimé que le nombre « d’indices graves et concordants » était suffisant pour mettre en examen Nicolas Sarkozy aux motifs suivants : « corruption massive », « financement illégal de campagne électorale », « recel de fonds publics libyens », « association de malfaiteurs ». Il est encore trop tôt pour dire si Sarkozy comparaîtra en procès, et l’enquête est toujours en cours.
L’affaire russe (Reso-Garantia)
Cette affaire, plus récente que les précédentes, a été révélée par Mediapart en janvier 2021. Nicolas Sarkozy a reçu, au début de l’année 2020, un virement de 500 000 euros dans le cadre d’un contrat de conseil auprès de la compagnie d’assurance russe Reso-Garantia. Actuellement, la justice française cherche à savoir si Nicolas Sarkozy était bien consistant auprès de cette société, ce qui est parfaitement légal. Dans le cas contraire, il se serait, selon Mediapart, « adonné à des activités de lobbying potentiellement délictuelles pour compte des oligarques russes ». Une enquête pour trafic d’influence a été ouverte par le Parquet National Financier durant l’été 2020.
Les conséquences politiques des affaires Sarkozy
Tout d’abord, elles brisent le mythe que tente de bâtir le camp Sarkozy depuis des années. Selon eux, l’ancien président est innocent. Christian Jacob, à la tête du parti Les Républicains, évoque un « acharnement judiciaire » ainsi qu’un « manque d’indépendance du parquet national financier ». Quant au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, il a apporté son « soutien amical » à Nicolas Sarkozy.
La condamnation d’un ancien président de la République pour corruption ne semble pas bouleverser la classe politique, ni la population française. Comme si, dans un sens, nous y étions habitués, et que les multiples affaires dans lesquelles le nom de Sarkozy était impliqué n’étonnaient plus l’opinion publique. Ce n’est pas le cas de la presse étrangère qui, elle, semble comprendre la mesure d’une telle condamnation. The Guardian a titré le 2 mars dernier « The Guardian view on Nicolas Sarkozy: another name on the roll of dishonour » (« l’opinion du Guardian sur Nicolas Sarkozy : un autre nom sur le tapis du déshonneur »).
Enfin, ces diverses affaires mettent le parquet national financier au centre de l’attention. Sans cesse critiqué par la droite, le PNF a été créé en 2013 par le président François Hollande après l’affaire Cahuzac. Il s’agit d’une institution judiciaire chargée de traquer « la grande délinquance économique et financière ». Il va de paire avec une volonté de transparence de la vie publique et de lutte contre la corruption. Des préoccupations que l’on retrouve dans d’autres pays européens depuis longtemps déjà. Par exemple, le principe de transparence existe en Suède depuis 1766. La démission de Mona Sahlin en 1995, vice-ministre (équivalent au poste de Premier ministre en France), après avoir réglé quelques courses alimentaires avec sa carte de crédit de fonction, paraît pourtant minime face à l’affaire des écoutes. Elle a pourtant fait l’objet d’un véritable scandale en Suède.