Les GAFAM, l’acronyme pour les géants du web Google Apple Facebook Amazon Microsoft, sont les cinq entreprises américaines dominant le marché numérique. S’ils ont révolutionné internet et la communication, ils sont également tout puissants face aux Etats, qui essayent tant bien que mal de les réguler.
La domination qu’exercent les GAFAM sur le marché numérique est quasi totale : Google et Microsoft se partagent près de 80% du marché des navigateurs, Microsoft et Apple détiennent 95% du marché des systèmes d’exploitation pour ordinateur de bureau, et Amazon, Google et Apple dominent le marché de téléchargement de musique, avec 80% des parts. Ces entreprises anéantissent toute concurrence, et monopolisent l’économie numérique.
Les GAFAM bénéficient également d’une véritable mainmise sur l’économie mondiale. La capitalisation de chacun des géants du web (hormis Facebook) dépasse les 1000 milliards de dollars, ce qui équivaut au PIB d’un pays comme les Pays-Bas. Ils ne se heurtent à aucune concurrence, et ne sont pas limités à l’échelle nationale.
Face à elles, les Etats ont souvent du mal à agir. Le mois dernier, Facebook et Google se sont opposés à la volonté du gouvernement australien de les faire payer pour la reprise de contenus issus des médias traditionnels. S’en est suivi un blocage de la part de Facebook des partages de liens d’information, comme des articles ou des vidéos, qui a duré cinq jours. Au-delà de mettre à mal la communication d’informations d’actualité, ce black out mené par Facebook a affecté plusieurs services de secours australiens, alors que le pays fait actuellement face à d’importantes inondations. Cette totale dépendance aux géants du web est dangereuse car, comme l’a démontré le cas australien, elle peut mettre à mal la communication de tout un État.
Les GAFAM ont également infiltré notre vie quotidienne. S’ils ont permis de révolutionner nos vies via leurs applications, leurs clouds, ou leurs plateformes de streaming, ils exploitent nos données privées sans aucun contrôle de notre part. Enfin, presque. Quand nous acceptons les fameux cookies sur des sites internet, nous les autorisons à garder certaines de nos données. Or, si un utilisateur vigilant refuse d’accepter les cookies, certaines fonctionnalités du site en question lui seront rendues inaccessibles. Nous nous rendons complices de la dépossession de nos données personnelles, mais nous n’en tirons aucun profit, là où les GAFAM monétisent nos data privées. Cet usage des données privées des utilisateurs permet, entre autres, de développer des contenus de publicités visées : Google et Facebook ont généré à eux seuls environ 230 milliards de dollars de recettes publicitaires l’année dernière, ce qui représente 46% du marché mondial de la publicité.
Mais ce n’est pas tout. D’autres de nos droits fondamentaux sont aliénés par Facebook et compagnie, à commencer par la liberté d’expression. En janvier dernier, après l’attaque perpétrée contre le Capitole Américain, Twitter a supprimé le compte de Donald Trump. Les autres réseaux sociaux ont suivi et Trump a vu son espace numérique d’expression disparaître.
Il ne s’agit pas ici de défendre l’ancien président américain et ses propos sur les élections de novembre 2020, mais plutôt de souligner le caractère arbitraire d’une telle décision. En effet, comme le dit le juriste Guillaume Champeau, il n’existe pas de séparation des pouvoirs, au même titre que dans une démocratie, au sein d’une entreprise privée comme Facebook ou Twitter. Il devient donc difficile de juger du bien-fondé d’une mesure consistant à fermer les comptes de Trump, qui revient à annihiler sa liberté d’expression sur internet : « La séparation des pouvoirs, qui est un autre principe fondamental sans lequel il n’y a pas de démocratie possible, n’a pas cours sur les réseaux sociaux qui concentrent dans les mêmes mains les pouvoirs de dire le droit (via leurs CGU), de faire la police (avec la surveillance pro-active de ce qui est publié), et de faire la justice (en recevant et instruisant les plaintes, et en choisissant les condamnations). »
Par ailleurs, on remarque que le rôle des réseaux sociaux a énormément évolué depuis une dizaine d’années. Comme l’expliquait Dominique Boulier, spécialiste des usages numériques, dans une interview donnée à Libération en janvier dernier, ils sont passés de simples hébergeurs de contenus, à juges de la liberté d’expression, et ce à l’échelle mondiale : « Twitter a déjà suspendu des milliers de comptes pour des raisons diverses. Mais cela n’a jamais été présenté comme une politique éditoriale, simplement comme une mesure de contrôle disciplinaire vis-à-vis de ses conditions d’utilisation. De telles mesures avaient déjà été prises à l’égard de contenus spécifiques postés par Donald Trump, mais jamais sur son compte lui-même. Cela pose un problème de jurisprudence puisque ce ne sont plus les contenus qui sont en cause, mais bien la personne émettrice qui est suspectée a priori. On entre donc dans des considérations quasi juridiques, qui mériteraient un appui soit par le juge, soit par une responsabilité éditoriale assumée. »
La menace que constituent les GAFAM est également financière. Les cinq entreprises américaines abusent largement de pratiques d’optimisation fiscale, à tel point que la France a officialisé en juillet 2019 un texte sur la taxation des entreprises numériques à hauteur de 3% de leur chiffre d’affaires (à conditions que celui-ci s’élève à 750 milliards d’euros au niveau mondial, et 25 milliards à l’échelle française). Mais la taxe GAFAM a été suspendue devant les menaces de représailles commerciales venant des Etats-Unis. De plus, la France a été la seule à tenter une loi de ce genre, là où la réponse apportée au dumping fiscal (la mise en place d’un faible taux d’imposition par un Etat visant à attirer des entreprises) dont profitent les GAFAM devrait au moins être européenne.
En décembre dernier, la Commission Européenne a enfin levé les boucliers contre l’hégémonie des GAFAM en présentant le Digital Services Act et le Digital Market Act. Jusqu’ici, le texte de loi régulant l’espace numérique datait de 2004, une mise à jour était donc plus que nécessaire. Le Digital Services Act, le Règlement sur les services numériques, doit responsabiliser les grandes plateformes d’Internet en leur donnant les moyens de modérer les contenus qu’elles hébergent, mais les oblige surtout à coopérer avec les autorités étatiques sur ce point. Le Digital Market Act lui, vise à faire en sorte que « les plateformes se comportent équitablement en ligne ». On retrouve aussi dans les points phares de la loi européenne la lutte contre la haine en ligne et la désinformation, le contrôle des vendeurs en ligne pour éviter la vente de contrefaçons, la transparence des algorithmes, ou encore la protection des données.
La réponse à l’hégémonie grandissante des GAFAM est aussi citoyenne. De plus en plus d’associations et de collectifs se constituent dans le but de surveiller les GAFAM et de dénoncer certaines de leurs actions. C’est notamment le cas pour les données personnelles des utilisateurs, qui font l’objet de nombreuses actions citoyennes. Par exemple, le think tank GénérationLibre réclame l’introduction d’un droit de propriété sur les données personnelles.
La question d’une régulation des GAFAM monopolistiques se pose également aux Etats-Unis, et fera partie des défis auxquels Joe Biden devra se confronter au cours de son mandat. Cela fait déjà quelque temps que l’aile gauche du parti démocrate réclame leur démantèlement. Or une telle mesure s’annonce compliquée, voire impossible. Google a par exemple mutualisé l’ensemble de ses services. Ils restent gratuits, mais sont interdépendants les uns des autres. Un démantèlement reviendrait donc à fermer tous les services proposés par Google, ce qui poserait inévitablement problème.
En revanche, Biden semble vouloir se diriger vers une protection des données plus encadrée. Le scandale Cambridge Analytica en 2018 a fait réagir les élus américains, et on observe une volonté commune de protéger les data privées des utilisateurs.
Enfin, la procédure entamée contre Google en octobre dernier pour abus de position dominante par la justice américaine devrait avoir un certain effet. Le département de la justice et la Federal Trade Commission avaient ouvert l’an dernier des enquêtes visant les GAFAM, alors soupçonnés de pratiques anti-concurrentielles pour préserver leur place dominante sur le marché numérique.