Guerre au Yémen : l’Arabie Saoudite à bout de souffle

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En Juillet 2014 commence au Yémen le conflit armé opposant les forces rebelles houthistes du nord du pays, au gouvernement de l’ex-président Ali Abdallah Saleh. L’Arabie Saoudite, pays frontalier du Yémen, et d’autres pays sunnites s’allient au gouvernement légitime tandis que les Houthis sont soutenus par l’Iran. 

Guerre civile, guerre régionale 

En 2011, comme d’autres pays du Moyen-Orient et du Maghreb, le Yémen connaît une vague de révoltes appelées printemps arabe. Le président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 34 ans, est amené à démissionner. Il est remplacé par son vice-président, Abd Rabbo Mansour Hadi, qui ne reste que deux ans au pouvoir. En 2014, les rebelles houthistes prennent le contrôle de Sanaa, la capitale, et s’emparent rapidement du nord du pays. 

Les Houthis sont issus d’une organisation culturelle et religieuse chiite fondée en 1922. Ils estiment avoir été marginalisés par le gouvernement yéménite dans le cadre de la réunification du pays en 1990, et réclament leur autonomie. 

Les forces rebelles constituent rapidement une menace pour le gouvernement. Le président Hadi s’exile à Riyad en 2015, ce qui pousse l’Arabie Saoudite à intervenir. Le royaume wahhabite voit d’un mauvais œil la guerre civile qui sévit à ses frontières, d’autant plus que les Houthis sont soutenus par l’Iran, son principal ennemi dans la région. Ce conflit donne ainsi le parfait prétexte au roi Salman, qui vient tout juste d’arriver au pouvoir, de contrer l’influence iranienne au Moyen-Orient. C’est Mohammed ben Salman, le prince héritier, qui est chargé de l’opération. 

Mohammed ben Salman, dit MBS, organise une coalition menée par l’Arabie Saoudite et rejointe par l’Egypte, le royaume de Bahreïn, le Qatar, le Koweït, la Jordanie, l’Egypte et le Soudan. En 2015, l’ONU appuie cette initiative et les Etats-Unis apportent une aide logistique à l’Arabie Saoudite. 

Pourtant, l’opération « Tempête Décisive », qui ne devait durer que quelques semaines, s’éternise. Dès l’été 2015, les principaux fronts ne bougent plus. La stratégie principale de MBS consiste en des bombardements aériens, mais peu de combats au sol. A contrario, les Houthis pratiquent une guérilla, et obtiennent progressivement le soutien de la population civile. En effet, les bombardements saoudiens visent des hôpitaux, des marchés et des infrastructures civiles, ce qui provoque rapidement l’hostilité de la population envers la coalition saoudienne. 

Dès 2016, la situation humanitaire au Yémen se dégrade. Cette année-là, on compte 10 000 civils morts du fait du conflit, un chiffre qui n’a cessé d’augmenter depuis. Début 2018, l’ONU affirme que « le Yémen en tant qu’Etat a pratiquement disparu », et qu’il s’agit de la crise humanitaire la plus grave au monde. Avant la guerre, le Yémen était déjà le pays le plus pauvre du Moyen-Orient et importait près de 90% de sa nourriture et de ses médicaments. Depuis le début du conflit, la misère s’est généralisée. Le blocus imposé par la coalition saoudienne empêche l’aide humanitaire de parvenir à la population civile et aujourd’hui, trois quarts des 30 millions d’habitants sont menacés par la famine.

En plus de cela, Al-Qaïda s’est développé dans la région via une branche locale. Le groupe terroriste a administré pendant un an un pseudo-État au sein du Yémen ainsi que le port de Moukalla, situé au sud-est du pays. Si l’organisation islamiste a été chassée par la coalition, elle représente toujours une menace et progresse sur les champs de bataille. 

L’enlisement dans une guerre sale 

La guerre s’éternise depuis plus de six ans et toute issue semble condamnée. Il est difficile pour l’ONU d’agir en dehors de l’apport d’une aide humanitaire. La France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis (avant Biden) vendent des armes à l’Arabie Saoudite (dont les journalistes ont découvert qu’elles étaient utilisées au Yémen contre des civils) et rechignent à aborder le sujet au sein du Conseil de Sécurité. 

Par ailleurs, la coalition s’affaiblit de plus en plus. En 2017, la crise du Golfe mène l’Arabie Saoudite à rompre ses relations avec le Qatar, et celui-ci retire ses troupes du Yémen. Quant au Soudan, il se retire progressivement depuis 2019. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelque 600 militaires soudanais sur le territoire yéménite, par solidarité avec l’Arabie Saoudite. Finalement, c’est au tour des Emirats Arabes Unis d’annoncer leur retrait en février 2020. 

La coalition menée par l’Arabie Saoudite est aussi fragilisée par la divergence croissante des intérêts des belligérants. Tandis que le royaume saoudien soutient le gouvernement légitime dont le chef Abd Rabbo Mansour Hadi est toujours exilé à Riyad, les Emirats semblent armer les milices séparatistes du sud du Yémen dans le but de revenir à un Yémen divisé entre le nord et le sud du pays, comme ce fut le cas jusqu’en 1990. 

Au-delà de ces fractures au sein de la coalition, les différentes forces armées se multiplient sur le terrain. Au nord, les Houthis ont créé le Gouvernement de salut national, et continuent les combats. Au sud s’est imposé un « Conseil de transition du sud », anciennement soutenu par les Emirats. On retrouve également quelques bastions d’Al-Qaïda dans tout le pays. Enfin, les forces loyalistes, pilotées depuis Riyad par le gouvernement en exil, tentent de battre les Houthis et d’empêcher leur progression. 

De tous ces belligérants, c’est l’armée loyaliste qui paraît être le moins efficace. En 2019, le ministre de la défense yéménite admettait que 70% des combattants de l’armée nationale gagnaient leur salaire sans participer à la lutte armée. Toutefois, la région de la ville de Marib, riche en hydrocarbures, est contrôlée par les troupes loyalistes. Depuis un mois, les Houthis prennent d’assaut l’agglomération dans le but de s’emparer de cette région pétrolière, le dernier bastion loyaliste dans le nord du Yémen. 

Par ailleurs, les Houthis ont gagné en expérience et ont su développer des forces spéciales et des armes technologiques. Ils ont ainsi basculé d’une stratégie de défense à une stratégie offensive : en 2018, les Houthis lancent une attaque de drone sur l’aéroport international d’Abu Dhabi. 

Face à un tel revirement, l’Arabie Saoudite a également décidé de revoir sa stratégie, et a envisagé un début de pourparlers avec les Houthis. En réalité, cela a contribué à affaiblir encore plus la coalition, et a mis en lumière les difficultés rencontrées par le royaume wahhabite.

En effet, l’Arabie Saoudite connaît depuis l’année dernière une période compliquée : le chômage touche 14,9% de la population, le prix du pétrole a chuté en mars dernier suite à la pandémie, et sa réputation diplomatique a été ternie par l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. De plus, les Houthis continuent d’attaquer les Saoudiens sur leur territoire : durant le mois de janvier, l’aéroport d’Abha a été touché quatre jours de suite, et une base militaire ainsi qu’un héliport ont été visés par des frappes de drones et de missiles. 

Une paix impossible ? 

Plusieurs tentatives de paix, notamment initiées par l’ONU, ont déjà échoué par le passé. Si l’Arabie Saoudite semble prête à initier des négociations, elle continue à considérer les Houthis comme une menace du fait de leur alliance avec l’Iran. Aussi, les réclamations des rebelles houthistes en cas de pourparlers sont jugées irrecevables par le royaume saoudien : des excuses publiques de la part de MBS, une indemnisation de plusieurs milliards de dollars, et la reconnaissance des Houthis comme force dominante au Yémen. 

Pourtant, se retirer n’est pas non plus envisageable pour les Saoudiens. Cela reviendrait à laisser les Houthis prendre le contrôle de tout le territoire yéménite, et continuer à subir leurs attaques sur le sol saoudien. 

Il se peut donc qu’on doive compter sur la diplomatie. Cesser de vendre des armes à l’Arabie Saoudite et rayer les Houthis de la liste des terroristes fut la première action de Joe Biden en termes de politique étrangère. Biden a également relancé l’enquête sur la mort de Jamal Khashoggi, que la CIA avait dû interrompre suite à une intervention de Trump. De plus, le président américain a récemment fait savoir qu’il entendait s’adresser au roi Salman directement plutôt qu’à son fils, qui n’est finalement que le prince héritier. Ce choix rompt avec la politique étrangère du précédent président américain : Trump avait développé des liens solides avec MBS et soutenait l’Arabie Saoudite au Yémen. 

Ainsi, le président Biden semble enclin à remodeler la famille royale saoudienne et ses relations avec les Etats-Unis. Le roi Salman étant atteint de démence, il est urgent de lui désigner un successeur, si possible autre que son fils Mohammed. 

Il semblerait donc que le conflit au Yémen ne cessera qu’une fois son principal initiateur, Mohammed ben Salman, écarté du pouvoir. Le président américain dispose de nombreuses options pouvant aboutir à son départ : le rapport accablant de la CIA désignant MBS comme commanditaire de l’assassinat de Jamal Khashoggi ou une action auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU en font partie.

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