Depuis 2014 avec l’annexion de la Crimée par Moscou, l’Ukraine affronte des séparatistes soutenus par la Russie dans la région du Donbass à l’est du pays. Si le cessez-le-feu obtenu en juillet entre Kiev et Moscou avait marqué l’espoir d’une trêve, les affrontements ont repris depuis plusieurs semaines.
13.000: c’est le nombre de personnes tuées dans le Donbass depuis le début du conflit en 2014. Dès son arrivée au pouvoir en 2019, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait tenté de renouer le dialogue avec la Russie, espérant ainsi apaiser les tensions. En juillet dernier, Moscou et Kiev ont tenté un accord de « cessez le feu ». Mais le répit n’aura été que de courte durée. Depuis la mi-février, les affrontements ont repris dans le Donbass.
Le 19 février dernier, le gouvernement Ukrainien a engagé des poursuites devant la Cour européenne des droits de l’homme contre la Russie. L’Ukraine accuse le pays de Vladimir Poutine de mener des opérations d’assassinats ciblés contre des opposants et de dissimuler les enquêtes visant à trouver les responsables. Des accusations qui n’ont pas manqué de relancer les tensions à l’Est de l’Ukraine entre séparatistes russes et pro-ukrainiens.
L’Union-européenne a décidé au début du mois de mars de maintenir ses sanctions contre la Russie pour son soutien aux séparatistes pro-russes dans l’est de l’Ukraine. Le président du Conseil européen, Charles Michel a estimé que la Russie était « partie dans ce conflit et non un médiateur ». Accusée par Kiev et les Occidentaux, la Russie continue de nier son implication et notamment de fournir des armes aux troupes séparatistes.
L’espoir d’une paix dans le Donbass n’aura été que de courte durée. Le président Volodymyr Zelensky a appelé à ce qu’un sommet de Normandie se tienne avec la France, l’Allemagne et la Russie pour apaiser la récente recrudescence des tensions à l’Est. Le dernier sommet avait eu lieu à Paris en décembre 2019. « La rencontre de Normandie se prépare. Elle doit avoir lieu » a déclaré Volodymyr Zelensky.
Une Ukraine divisée en deux
Les divisions au sein de l’Ukraine sont anciennes et compliquées au vue des deux régions historiquement très diverses à l’Est et à l’Ouest du pays.Située entre l’Asie et l’Europe, l’Ukraine est une véritable « zone carrefour » aux frontières de la Russie et de l’Occident. Attirée d’un côté par les propositions de l’Union-européenne, et figée par son interdépendance économique et culturelle avec la Russie de l’autre, l’Ukraine est tiraillée entre deux pôles culturels, économiques et politiques et peine à trouver une véritable unité nationale.
Sur un plan géo-historique, l’Ukraine est depuis le XVIIIème siècle indissociable de la Russie. À l’origine, des liens étroits qui unissent ces deux pays : Kiev, capitale ukrainienne et berceau de l’Empire russe au Vème siècle. Jusqu’alors l’Ukraine s’est vue largement dominée par la Russie et n’acquiert son indépendance qu’en 1990. Nostalgique de son empire soviétique, la Russie cherche rapidement à faire mainmise sur l’Ukraine, véritable zone stratégique aux frontières de l’Europe.
En 2013, l’Ukraine se voit proposer un accord avec l’Union-européenne dans le cadre du « partenariat oriental ». Mais le président pro-russe de l’époque Viktor Ianoukovitch refuse cet accord. Débute alors le mouvement Maïdan qui réveille la colère des pro-ukrainiens favorables à un rapprochement avec l’Europe. En réponse à cela, la Russie déploie ses forces militaires en Crimée (région au sud-est de l’Ukraine) et impose un référendum qui conduira à l’annexion de la Crimée.
L’irrédentisme russe sur la Crimée en 2014 marque le début d’un conflit culturel et identitaire au sein même de l’Ukraine. Les sentiments pro-européens et la volonté d’émancipation vis-à-vis de la Russie ont renforcé un fossé déjà existant entre Ukraine de l’Est et Ukraine de l’Ouest. On distingue une Ukraine pro-russe et une Ukraine pro-européenne, de part et d’autre du fleuve du Dniepr qui divise le pays en deux identités ethniques et linguistiques.
L’Ukraine : véritable zone géostratégique
L’Ukraine en général et la Crimée en particulier représentent une zone géostratégique importante. Le sud de l’Ukraine donne un accès direct à la mer d’Azov et à la mer noire, qui sert de passage vers la mer Méditerranée. La Russie, affectée par un complexe obsidional depuis la dislocation de l’URSS, voit en l’Ukraine une possibilité de sortir de son enclavement. Avec sa base navale et ses deux aéroports militaires, la Crimée dispose d’une importante zone économique exclusive (ZEE) en mer Noire. Elle est un atout essentiel pour la Russie. 70 % de la flotte russe en mer Noire est basée en Crimée.
L’Ukraine représente une véritable « zone pivot » économique entre Russie et Occident. La Russie, riche en gaz, alimente l’Europe, grande consommatrice d’énergie, via l’Ukraine, qui dépend elle aussi largement du gaz russe. Une dépendance que ne manque pas de rappeler la Russie puisqu’en 2009, deux grands gazoducs russes alimentant l’Europe via l’Ukraine ont été fermés par le Premier Ministre de l’époque, Vladimir Poutine.
Territoire plutôt plat, composé de vastes plaines, l’un des principaux atouts de l’Ukraine est l’agriculture. Les terres agricoles représentent 71,7% du territoire. Le pays bénéficie de terres fertiles et d’un sous-sol qui renferme du charbon, du minerai de fer, de l’uranium et du manganèse. La production minière et industrielle ukrainienne est essentiellement localisée à l’Est du Dniepr, autour de la région du Donbass dominée par les ukrainiens pro-russes.
Plusieurs pays comme le Royaume-Uni, la France, les États-Unis ou encore la Libye investissent sur le territoire ukrainien en achetant ou en louant des morceaux de terre en Ukraine afin d’y exploiter les ressources.
L’Ukraine, au cœur d’une « guerre d’influence » entre la Russie et l’Occident
Si les États-Unis sont ouvertement opposés au régime soviétique depuis la Guerre Froide, ils profitent également de l’Ukraine pour contrer l’expansion russe À travers leur politique du containment économique et les sanctions financières contre la Russie mais aussi en multipliant les prises de positions en faveur de « l’indépendance ukrainienne », notamment à travers les différentes organisations internationales.
À la veille de l’ouverture du sommet de l’OTAN au Pays de Galles, en 2014, Barack Obama avait lancé une mise en garde à la Russie, l’accusant de menacer la « liberté » et la « paix » en Europe par la poursuite de son « agression contre l’Ukraine ».
Dénonçant l’emprise russe depuis le début du conflit ukrainien, l’Union-européenne et les États-Unis n’ont cessé de se rapprocher de l’Ukraine. En 2004, la révolution orange a bénéficié du soutien des nombreux gouvernements occidentaux, dont celui des États-Unis et d’organisations américaines comme la CIA.
Si la Russie a toujours eu recours aux actions militaires et économiques pour étendre son influence en Ukraine (hard power), elle a toutefois saisi l’importance de s’immiscer à long terme dans la culture et les mentalités ukrainiennes. Au-delà des influences linguistiques, religieuses et éducatives, la Russie est également omniprésente dans l’espace médiatique. Depuis les révolutions oranges de 2004, la Russie utilise le cyberespace et la télévision pour faire passer son influence.
En 2014, lors du référendum qui a conduit à l’annexion de la Crimée, la propagande russe dans les médias et sur Internet a largement conduit au résultat favorable à 97%. À cette époque, le scrutin avait été qualifié « d’illégal au regard du droit ukrainien et international » au regard du nombre de forces militaires russes présentes en Crimée, mais également à cause de l’influence russe dans les médias. De nombreuses télévisions ukrainiennes et médias d’opposition russes avaient été coupés.
Tiraillée entre Russie et Europe, l’Ukraine en général et la région du Donbass en particulier peine à instaurer une paix durable. L’accord de “cessez le feu” de juillet 2021 avait marqué la plus longue trêve du conflit depuis 7 ans. Mais la reprise des affrontements ces dernières semaines remet sérieusement en cause cet espoir de paix.