Le président Turc Recep Tayyip Erdogan sort d’une année chargée en offensives. De nombreuses tensions avec l’Europe ont notamment marqué l’année 2020. Cependant la situation serait en train de basculer.
Cette année 2020 a été marquée par plusieurs offensives turques. Celles-ci sont le fruit d’une politique internationale ferme, menée par le président turc Recep Tayyip Erdogan. Entre la Méditerranée orientale, le Haut-Karabakh et la France, la Turquie est impliquée dans de nombreux conflits.
Retour sur les conflits
L’un d’eux se concentre sur des ressources naturelles en Méditerranée. Des ressources d’hydrocarbures ont été découvertes dans des zones maritimes appartenant à la Grèce. Cette zone étant géographiquement plus proche de la Turquie que de la Grèce, Ankara conteste cette appartenance et revendique qu’elle lui revienne de droit. Le 10 août, la Turquie a donc lancé un navire de prospection sismique, entouré de plusieurs navires militaires, dans le but d’explorer les gisements de la région. Un acte fermement dénoncé par la France, qui a pris la défense de la Grèce en envoyant des avions rafales et des navires de guerre sur place. Cette situation compliquée pourrait très vite dégénérer. Le ton était déjà plus que tendu en juin dernier, lorsqu’un navire turc avait braqué un navire français.
Le contrôle de la Méditerranée orientale est également au cœur d’un conflit avec la Libye. Ce pays est actuellement divisé en deux parties : à l’ouest, le gouvernement d’Union Nationale, basé à Tripoli, reconnu par les Nations Unies et défendu par le Qatar et la Turquie; à l’est une zone détenue par le maréchal Khalifa Haftar et soutenue par l’Egypte et l’Arabie Saoudite. La Turquie intervient dans ce conflit en fournissant des armes au gouvernement d’Union Nationale. En collaborant avec Tripoli, Erdogan souhaite avoir la mainmise sur la Méditerranée Orientale, que ce soit pour le contrôle des ressources naturelles ou pour susciter un moyen de pression à travers le passage des migrants.
Des tensions sont également visibles dans le Haut-Karabakh. Cette région située à la frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, appartient à l’Azerbaïdjan, mais est habitée par une majorité d’Arméniens, historiquement chrétiens. En septembre, l’Azerbaïdjan a commencé à reconquérir ce territoire. Le premier ministre Arménien ainsi que le dirigeant du Haut-Karabakh ont en retour appelé à une mobilisation générale de leur population. Depuis, ce conflit a engendré la perte d’environ 5000 vies humaines. La Turquie joue un rôle important dans ce conflit en apportant un soutien militaire à l’Azerbaïdjan, avec lequel Erdogan tient de nombreuses relations diplomatiques. Erdogan a par exemple ordonné l’envoi de jihadistes sur place. Cette action a tout de suite été dénoncée par Emmanuel Macron. Il demandera à la Turquie « de mettre fin à ses provocations ».
Le conflit ayant entraîné les propos les plus virulents reste celui à propos des caricatures du prophète Mahomet diffusées par Charlie Hebdo. Ces caricatures ont été à l’origine de l’agression mortelle du professeur Samuel Paty, tué pour avoir dévoilé ces images à sa classe. Lors de ses obsèques, le président Français avait déclaré « nous ne renoncerons pas aux caricatures ». Le président Turc a aussitôt réagi en dénonçant le traitement des musulmans en France et appelé au boycott des produits Français. Un boycott rejoint par de nombreux pays du Moyen-Orient.
Erdogan n’hésita pas à aller jusqu’à comparer le traitement des juifs durant la Seconde Guerre mondiale, au traitement des musulmans en France. Suite à ces propos, le journal Charlie Hebdo a publié une nouvelle caricature du président Turc, bière à la main, soulevant la robe d’une femme voilée. Après cela, Erdogan a annoncé des représailles judiciaires et diplomatiques envers l’Etat français. Des mesures qui vont encore accentuer les tensions entre les deux pays. Des échanges assez virulents ont déjà eu lieu entre les deux dirigeants. Le 12 septembre, Erdogan déclarait à Emmanuel Macron, « tu n’as pas fini d’avoir des ennuis avec moi ». Le 25 octobre, Erdogan lui recommandait de « subir des examens mentaux ». Lors de différends internationaux, Recep Tayyip Erdogan semble donc préférer réagir avec des menaces, plutôt que de chercher l’aboutissement d’un compromis grâce au dialogue.
Les raisons ?
L’une des raisons de toute ces tensions, pourrait être de détourner l’attention du peuple turc des problèmes majeurs du pays. En effet, la Turquie accumule de nombreuses difficultés. Sur le plan économique, le pays subit une forte inflation. La livre turque a atteint un plus bas historique face au dollar et à l’euro. Le pays connaît aussi un taux de chômage important, qui stagne autour des 15%. La crise sanitaire du Covid n’a pas amélioré la situation, en impactant directement le tourisme, un secteur vital pour la Turquie. Sur le plan politique, Erdogan ne parvient pas à toucher les jeunes, qui restent très réticents à son égard. La génération de l’an 2000 ne connaît que lui au pouvoir, et se lasse de plus en plus de la précarité économique et des restrictions de liberté d’expression. Ainsi, selon l’institut de sondage Gezici, les 3⁄4 des nouveaux électeurs n’ont pas voté pour l’actuel président lors de la présidentielle de 2018. Pour couronner le tout, Erdogan accumule les polémiques. Un parti d’opposition a récemment fourni des preuves impliquant le président turc dans des pillages de fonds publics. Ces scandales de corruption lui font face depuis deux décennies.
De plus, en critiquant les caricatures de Charlie Hebdo et le traitement des musulmans en France, il s’assure le soutien des 68 millions de musulmans résidant en Turquie et de nombreux pays du monde Arabe. Il s’agit ainsi d’un soutien important pour les relations diplomatiques de la Turquie mais aussi pour les futures élections présidentielles de 2023. En défiant la France, il obtient également le soutien de l’extrême droite nationaliste, en developpant l’image d’un président fort, tenace et ne baissant jamais la tête face aux conflits internationaux.
Finalement, en intervenant en Libye, en Azerbaïdjan ainsi qu’en Méditerranée Orientale, Erdogan semble vouloir réaffirmer la puissance de la Turquie, à l’image de son influence dans l’ancien Empire Ottaman. La Turquie deviendrait alors un acteur qui ne pourrait pas être mis à l’écart lors de partages de richesses, ou de règlements de comptes dans le monde Arabe.
Un changement de comportement
Après les nombreuses tensions de l’année 2020, la Turquie semble désormais vouloir apaiser la situation. Le sept janvier, le ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu a affirmé être prêt à normaliser les relations avec la France. Le neuf janvier, Erdogan déclarait « l’avenir de la Turquie est en Europe ». Ce changement brusque de posture pourrait bien être la conséquence de l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, président des Etats-Unis. Celui-ci se veut beaucoup moins indulgent et complaisant avec la Turquie, que pouvait l’être son prédécesseur Donald Trump. En décembre 2019, Joe Biden avait déclaré qu’il devait y avoir « un prix à payer » pour Erdogan, et s’était même engagé à soutenir l’opposition turque. Ainsi, Erdogan a tout a gagner à hisser le drapeau blanc, si il ne veut pas subir de plein fouet les conséquences d’un isolement international. De plus, Erdogan semble vouloir améliorer les libertés des citoyens turcs, souvent négligées depuis la tentative du coup d’État de 2016. Ainsi le deux mars, il annonçait la création d’un plan d’action pour élargir les droits de l’homme en Turquie. Cela pourrait bien ressembler à une tentative pour reconquérir les jeunes, en prévision des prochaines élections présidentielles de 2023.