Un tiers des étudiants français est en situation de difficulté financière depuis le début de la crise sanitaire. Plus de la moitié de ces étudiants déclare que l’accès aux produits de première nécessité leur est devenu difficile. Pour lutter contre cette précarité, six étudiants de la Sorbonne ont créé en août dernier Co’p1, une association « par, et pour les étudiants ».
Les distributions ont lieu deux fois par semaine, le vendredi et le samedi. Les bénévoles disposent d’un local prêté par la mairie de Paris, dans le 3ème arrondissement. Ils arrivent vers 17h pour décharger des stocks de nourriture et de produits d’hygiène et accueillent les étudiants dans le besoin à partir de 18h30.
Pourtant, il n’est que 17h30, et il y a déjà la queue devant la Maison des Initiatives Etudiantes de la rue des Tournelles. Ce soir, 280 étudiants précaires se sont inscrits via un lien partagé par le pôle communication de Co’p1 sur les réseaux sociaux. Martin, en master d’histoire à Paris IV, est déjà venu plusieurs fois aux distributions des Co’p1. Ce soir, il est en avance : « La file d’attente est longue et il m’est déjà arrivé d’attendre une heure pour bénéficier de la distribution alimentaire. J’habite en banlieue parisienne, et je dois venir plus tôt si je veux espérer rentrer chez moi avant le couvre-feu. » Un petit groupe de bénéficiaires s’est formé et attend que tout soit prêt pour les accueillir à l’intérieur.


Marion a 20 ans et étudie le droit et l’histoire de l’art à Paris I. Elle fait partie de l’association depuis sa création. « Après ma prépa et le premier confinement, j’ai eu envie de m’engager de façon concrète auprès des jeunes de mon âge que la crise du covid a fragilisés. » Elle est responsable du pôle communication de l’association et s’occupe notamment des réseaux sociaux.
Claudia, étudiante en master de musicologie à Paris VIII, a découvert les Co’p1 sur Instagram et en a parlé à son ami Matthieu, étudiant en master de commerce international à la Sorbonne. Ils sont venus ensemble à la distribution de ce soir. Malgré la situation, ils essayent de voir l’aspect positif des choses. « Nos facs sont présentes pour les étudiants. Par exemple, elles organisent souvent des petits déjeuners gratuits et nos professeurs, pour la majorité, nous suivent et nous soutiennent. On est vraiment contents de ce que fait Co’p1, il y a une bonne ambiance, il n’y a aucun jugement et c’est un moment de partage. »
Claudia et Matthieu n’attendent plus rien des politiques. Ils ressentent surtout de l’incompréhension face aux mobilisations en faveur des écoles, des collèges et des lycées, alors que les universités ne fonctionnent plus normalement depuis six mois. « La génération de demain c’est nous. Bien sûr qu’il est important que les plus jeunes aillent en cours et soient aidés mais ça n’est pas pareil pour eux, ils peuvent compter sur leurs parents.» explique Claudia avec amertume.
Dans l’ensemble, les étudiants bénéficiaires ont entendu parler de Co’p1 sur Instagram et Facebook ou bien par le bouche à oreille. L’équipe bénévole chargée de la communication poste très régulièrement sur les réseaux sociaux pour informer des dates et horaires des prochaines distributions.
Marion explique que la demande a doublé depuis son arrivée dans l’association. « Au mois de septembre, on organisait une distribution par semaine et les inscriptions étaient complètes en quatre jours. Aujourd’hui, nous en sommes à deux distributions par semaine et les inscriptions sont bouclées en quelques heures seulement.» Les Co’p1 accueillent aujourd’hui 500 étudiants minimum chaque semaine, et l’association compte environ 400 bénévoles.
Il arrive souvent que certains étudiants, faute de places disponibles, ne puissent pas bénéficier des distributions. Pour tenter de mettre en place une prise en charge équilibrée, Marion et les autres bénévoles chargés de la gestion des inscriptions tentent de faire en sorte que les bénéficiaires ne soient pas toujours les mêmes, bien qu’il y ait de plus en plus d’habitués. « L’autre jour, j’ai reçu un message sur Instagram d’une étudiante qui me disait qu’elle avait ses règles et devait faire le choix entre s’acheter des protections périodiques ou de la nourriture, or les inscriptions étaient déjà complètes. » Dans ces cas-là, les bénévoles orientent les étudiants demandeurs vers d’autres associations, ou bien essaient de voir si un habitué déjà inscrit serait prêt à laisser sa place.


Les Co’p1 accueillent les bénéficiaires avec le sourire. Ils ont mis de la musique sur une enceinte et distribuent des shampoings et des paniers alimentaires au rythme d’Aya Nakamura. « C’est vraiment une belle association. On accueille les étudiants avec bonne humeur et surtout, il n’y a aucun misérabilisme. On est tous égaux ici, car tous étudiants. Il n’y a aucun sentiment de gêne, et on crée des liens avec les bénéficiaires » explique Marion avec le sourire.
Le fait que des étudiants soient en charge de l’association permet d’humaniser les distributions et d’effacer la distance entre bénévoles et bénéficiaires. Les Co’p1 proposent aussi des parrainages entre étudiants. Le but : mettre en place un suivi avec l’étudiant dans le besoin et créer des liens solidaires et amicaux.
À côté des paniers de nourriture, des paquets de pâtes et des serviettes hygiéniques se trouvent trois fauteuils disposés autour d’une table sur laquelle des prospectus d’aide aux étudiants sont mis à disposition de tous. Aide au logement, aide psychologique et financière, numéros de lutte contre le harcèlement… Les bénévoles du pôle suivi orientent les étudiants dans le besoin et discutent avec eux : « Tu vas bien ? Tu as tout ce qu’il te faut ? Comment ça se passe tes études, tu arrives à suivre ? Tu n’as pas de problème avec ton logement ? » Conscients de la détresse psychologique dans laquelle se trouvent certains de leurs camarades, les Co’p1 font aussi de la santé mentale et des aides sociales un de leurs nombreux combats.
Il est 19h et la queue devant la Maison des Initiatives Etudiantes continue après le boulevard Beaumarchais. Elle fait presque 200m. Certains bénéficiaires se connaissent et viennent chercher des produits de nécessité avec leurs amis, d’autres sympathisent dans la queue, d’autres encore lisent un livre ou écoutent de la musique. Dans la queue, les bénévoles leur proposent du thé ou du café pour rendre l’attente plus agréable.


Valeria et Victoria sont deux amies vénézuéliennes. Elles vivent ensemble à Levallois-Perret. Victoria, étudiante en L3 d’administration économique et sociale, est arrivée en France il y a cinq ans. Avant la crise sanitaire, elle était baby sitter et caissière dans un supermarché le dimanche. Elle a perdu ses emplois durant le premier confinement. Les deux amies sont des habituées des distributions de nourriture et de produits d’hygiène. Elles se rendent régulièrement au Crous qui vend des repas à un euro, ou à l’Agoraé, une épicerie solidaire. C’est la troisième fois en deux mois qu’elles vont aux distributions Co’p1. Malgré la situation, elles sont heureuses en France, un pays qui leur permet d’étudier : « La France, c’est le meilleur pays pour faire des études. Ici, il y a beaucoup de conscience sociale, tu peux obtenir de la nourriture gratuitement et personne ne te demandera ton visa. Chez moi, à Caracas, je n’aurais jamais bénéficié de l’éducation que je reçois aujourd’hui. »
À l’intérieur de la MIE, les bénévoles s’activent. Les livraisons ne cessent d’arriver et il faut vite tout déballer. D’abord des viennoiseries, de la confiture et des biscuits, puis des conserves, des produits secs, des œufs, du jus, des fruits et des légumes. Les Co’p1 essayent de proposer de la nourriture équilibrée et de qualité.


« Nos stocks viennent de quatre sources principales : les collectes effectuées par nos bénévoles dans les supermarchés pour tout ce qui est produits d’hygiène et produits secs, les autres associations comme la Croix Rouge et le Secours Populaire, les particuliers, par exemple Innocent qui nous donne des jus, et les fruits et légumes qu’on achète nous-mêmes grâce aux dons. » explique Paul, trésorier et cofondateur de Co’p1, étudiant en double licence droit sciences politiques à la Sorbonne. La Mairie de Paris est également d’une grande aide, puisqu’elle prête le local de la MIE à l’association ainsi qu’une camionnette permettant aux bénévoles d’aller chercher les stocks.
Paul et ses amis ont décidé de créer Co’p1 car l’aide alimentaire est le moyen d’action le plus rapide et le plus concret pour aider les jeunes. « La nourriture et le logement, c’est la base. C’est ce qui représente le plus de dépenses et on ne peut mener à bien ses études sans y avoir accès. » Il dénonce l’inaction des élus ainsi que les structures d’aide qui ne sont pas adaptées aux étudiants, alors que les moins de 25 ans représentent 50% des bénéficiaires des Restos du Coeur.
Comme le souligne Paul, la précarité étudiante a toujours existé. En effet, le statut d’étudiant, quand on doit subvenir à ses besoins et vivre seul, demeure fragile. Beaucoup comptent sur leur petit job à côté des cours : la restauration, la garde d’enfants, les cours particuliers.
En temps normal, 46% d’étudiants ont un emploi en parallèle de leurs études et parmi eux, 58% ont vu leur activité diminuer impliquant, en moyenne, une perte de revenu de 274 euros. Or pour certains, ces 274 euros représentent une somme réservée aux courses alimentaires. D’autres étudiants, 36% en tout, ont vu leur emploi s’interrompre à l’occasion du premier confinement et n’ont pas retrouvé de travail depuis.
Paul dénonce un manque de prise de conscience sur le sujet de la précarité étudiante. « On a l’impression qu’être étudiant c’est mener une vie de bohème, que manger des pâtes tous les jours fait partie d’une expérience de vie. Le covid a permis de dévoiler les difficultés rencontrées par les étudiants, et j’espère que le sujet sera pris en charge par nos élus après la crise et qu’il ne tombera pas dans l’oubli. »


Il est 20h15 et la queue est encore longue rue Tournelle. Censée finir à 20h30, la distribution de ce soir se terminera plus tard que prévu.
L’association Co’p1 est parvenue à faire des distributions alimentaires un moment de convivialité où chacun est à sa place. La génération Z, celle qu’on appelle « la génération sacrifiée », est avant tout une génération solidaire. Ils sont étudiants avant d’être bénéficiaires ou bénévoles, ils partagent des heures de cours, des salles de classe, des bibliothèques avant de se retrouver lors de distributions alimentaires.
Les Co’p1 n’ont pas de revendications politiques particulières. Ils ne demandent qu’une chose : que les lieux d’échange et de rencontres étudiantes redeviennent les amphithéâtres et les couloirs de facs, plutôt que la Maison des Initiatives Etudiantes et que la précarité étudiante devienne une préoccupation publique prise en compte par les politiques.
Pour faire un don à Co’p1 Solidarités Etudiantes : https://www.helloasso.com/associations/co-p1-solidarites-etudiantes/formulaires/1
Pour bénéficier des distributions : contact@cop1.fr ou sur les réseaux sociaux (Instagram : cop1.solidarites.etudiantes, Facebook : Co’p1 Solidarités Etudiantes)