Disponible depuis quelque temps sur BrutX, Les Rivières est un récit-documentaire sur plusieurs générations de femmes d’une même famille. À l’aide de ce récit, la réalisatrice étudie des problématiques sociales telles que l’inceste et les violences conjugales, afin de déconstruire l’idée qu’elle serait l’héritière « d’une lignée de femmes maudites ».
Mai Hua explore dans ce récit-documentaire les liens intrafamiliaux qui lient les différentes femmes de différentes générations au sein de sa famille. L’origine de ce documentaire remonte à une dizaine d’années, quand son oncle lui démontre qu’elle est issue d’une lignée de femmes maudites, pour lesquelles les relations avec les hommes se sont toujours mal passées. En effet, comme l’illustre une des premières scènes de ce film, Mai Hua dessine l’arbre généalogique de sa famille en expliquant les difficultés que sa mère et sa grand-mère ont pu rencontrer avec les hommes. C’est avec l’aide d’un pinceau à l’encre rouge que la réalisatrice peint la courbe de la malédiction qui semble s’abattre sur ces femmes, et sur elle-même.
La réalisation de cette œuvre est subtilement émouvante tout au long du récit. En effet, la voix-off de la réalisatrice éclaire et accompagne délicatement le spectateur dans une réflexion sur des enjeux sociaux impactant notre société et notre développement personnel. Ce film est une lumière sur l’obscurité de certains problèmes publics sensibles. Mai Hua dénonce l’inceste et les violences conjugales, tout en étudiant la construction sociale de l’enfance de toutes ces femmes. Son objectif est de découvrir et de comprendre la vérité des secrets familiaux qui alimentent la malédiction dont elle est victime, comme elle l’explique au début de son film, « je sais tout, mais je comprends rien ».
La force de l’amour contre la malédiction
L’idée d’une « lignée de femmes maudites » est perçue comme une fatalité tragique dans une relation entre un homme et une femme. Mai Hua perçoit cette malédiction comme la dépendance d’une femme à un homme, la « croyance profonde que je ne suis rien sans un homme », pour sa grand-mère. La réalisatrice s’aperçoit que « cette malédiction n’est pas qu’une histoire de femme, c’est en fait une histoire d’enfant trahi par des générations et des générations d’adultes qui ne se sont pas comportés comme des adultes ». Elle évoque la nécessité pour sa mère de fuir le domicile familial, exprimant sa douleur d’enfant trahie par cet abandon. En effet, sa mère n’a jamais expliqué à Mai Hua pourquoi elle avait fui, sans verbaliser les violences subies, la réalisatrice ne pouvait pas comprendre la situation, alors qu’elle était encore très jeune.
Ce sentiment d’abandon laisse émerger une importante frustration dès l’enfance, qui ne cesse de grandir avec le temps jusqu’à l’âge adulte. Ce film l’aide à réaliser qui elle est, en voulant sauver sa fille d’une malédiction qui n’existait pas, en voulant sauver sa mère et sa grand-mère, elle s’est sauvée “elle”. Il faut apprendre à aimer. L’amour est essentiel quand on n’arrive pas à pardonner l’abandon traumatisant de son enfance sacrifiée. Il faut dire ce que l’on ressent, pour aller bien, il faut s’occuper de l’enfant qui souffrait en nous.
Un Héritage transgénérationnel
Cette malédiction est plutôt un héritage, une force de vie transgénérationnelle qui traverse chaque femme de cette famille. En effet, c’est par la mémoire familiale que passe la transmission de cette force. Pour Mai Hua, il est nécessaire « d’écrire une nouvelle histoire, une histoire pour prendre soin les uns des autres », dans le but de calmer la douleur du passé.
L’une des scènes marquantes de ce film est le moment où la mère de Mai Hua chante : « Maman tu es la plus belle du monde » de Luis Mariano, pour sa propre mère. On observe ensuite l’arrivée de la fille de Mai Hua près de sa grand-mère et de son arrière- grand-mère, se blottissant près d’elles, en écoutant la douce mélodie du chant bercer l’émotion de la scène. Le tableau est magnifique, quatre femmes, « quatre rivières » comme nous l’explique la réalisatrice, réunies par la même force d’être des femmes unies dans un amour intergénérationnel.