Nucléaire iranien et guerre en Ukraine, quel avenir pour le JCPOA ?

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Après plusieurs mois d’interruption, le coup d’envoi du septième cycle de négociations relatives à l’accord sur le nucléaire iranien a été donné à Vienne, le 29 novembre 2021. Principal médiateur dans ces pourparlers indirects entre Washington et Téhéran, le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, a déclaré dans un communiqué que les discussions porteraient sur : « la mise en œuvre complète et effective de l’accord par toutes les parties » et notamment sur : « la perspective d’un éventuel retour des États-Unis ». Aujourd’hui, à la veille de la seconde phase du neuvième cycle, les médias restent globalement à l’écart des coulisses du palais viennois, Coburg, tandis que plusieurs paramètres géopolitiques entrent en jeu, notamment la guerre en Ukraine qui risque d’enclaver, une fois de plus, les négociations en laissant présager un scénario chaotique.

Reprise des négociations entre l’Iran et les principales puissances mondiales

En juin 2021, six mois après l’élection du nouveau président ultra-conservateur iranien, Ebrahim Raïssi, les négociations du JCPOA, Joint Comprehensive Plan of Action, ont finalement pu reprendre en Autriche dans l’espoir de sauver l’accord sur le programme nucléaire de Téhéran. Plusieurs délégations de pays encore partis prenants à l’accord : la Russie, la Chine, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, s’efforcent de décélérer les avancées atomiques de l’Iran par la voie diplomatique.

Désengagés de l’accord nucléaire en 2018 par Donald Trump, les États-Unis ont « salué » l’annonce de la reprise des négociations et sont indirectement représentés à Vienne. L’administration Biden a d’ailleurs désigné, Robert Malley, un pilier des affaires du Moyen-Orient à la Maison-Blanche sous Bill Clinton et Barack Obama, en tant qu’émissaire spécial pour l’Iran.

De son côté, Téhéran est représentée par une délégation composée d’une quarantaine de diplomates chevronnés, ainsi que des responsables de haut rang ; parmi lesquels : le sous gouverneur de la banque centrale iranienne ainsi que des représentants des ministères du Commerce et de l’Economie. Désigné comme un ultra conservateur, le nouveau vice-ministre des Affaires étrangères, Ali Bagheri, est le nouvel homme fort de l’Iran dans ce dossier.

La sensibilité de ce dossier se traduit, à l’occasion de chaque nouveau cycle de négociations, par une succession d’audiences à huis clos et une restriction des communiqués de presse. Le décryptage d’une crise internationale aussi complexe et peu perméable à la sphère médiatique, engage une analyse globale et une considération notable de tous les angles politiques ; favorisant une lecture prospective de l’évolution de cette affaire à court et à moyen terme. Dans ce registre, l’opposition de style entre les deux personnages clés Robert Malley, côté américain et Ali Bagheri, côté iranien, apporte des éléments de réponse sur la conjoncture qui se dessine dans les semaines à venir.

Robert Malley, Ali Bagheri : Les clés d’une « opposition de style »

L’administration Biden a choisi Robert Malley, avocat de renom et ami d’enfance du chef de la diplomatie américaine Antony Blinken, en tant qu’émissaire chargé de négocier le retour des États-Unis dans le JCPOA. Ancien président du programme Middle East de l’International Crisis Group qui œuvre pour la prévention et la résolution des conflits armés, Robert Malley jouit d’une grande expérience dans la gestion des crises politico-militaires sur la scène internationale ; notamment celle de l’axe israélo arabe. En revanche, sa nomination a provoqué de vives critiques aux États-Unis. Farouchement opposés à l’accord sur le nucléaire, les faucons de l’opposition l’accusent d’être trop bienveillant à l’égard de Téhéran. Selon le sénateur républicain Tom Cotton : « Malley est connu pour sa sympathie à l’égard du régime iranien et son hostilité à l’égard d’Israël».

Il est important, par ailleurs, de souligner que Robert Malley succède à l’émissaire spécial de l’administration Trump en Iran, Elliot Abrams, auteur de la politique de « pression maximale » sur Téhéran et de « rapprochement fusionnel » avec les dirigeants du Golfe ; rivaux historiques des Gardiens de la révolution. Le nouveau représentant américain prône, quant à lui, une diplomatie de dialogue et d’ouverture : « Me mettre à la place de l’autre, jongler avec des opinions et des perspectives opposées est une seconde nature chez moi », écrit Robert Malley. Depuis la reprise des négociations à Vienne, la stratégie américaine semble donc s’orienter vers une main tendue envers Téhéran. D’ailleurs, Washington a récemment envoyé des signaux positifs inédits en se disant prêt à « lever les sanctions qui sont en contradiction avec l’accord », selon la chaîne de télévision PBS.

Côté iranien, le meneur des négociations, Ali Bagheri, a occupé plusieurs postes au sein de l’exécutif et bénéficie également de relations très étroites avec sa hiérarchie. Il partage, en effet, une proximité non seulement idéologique mais aussi familiale avec le guide suprême. Présenté comme un « anti-occidental », Ali Bagheri faisait déjà partie de l’équipe de négociateurs désignés sous la présidence de l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad. Selon lui, le gouvernement du précédent guide, Hassan Rohani, faisait : « beaucoup de concessions face aux États-Unis et autres pays occidentaux. ». Incarnée par un protagoniste aussi intransigeant, la posture diplomatique adoptée par Téhéran dans cet épineux dossier est à la fois périlleuse et particulièrement conquérante.

Après avoir salué l’élaboration d’un nouveau cadre de négociations, intégrant désormais les points de vue de la République islamique sur les deux principaux volets de l’accord, soient la levée des sanctions et l’évolution du programme nucléaire, le négociateur en chef iranien tente aujourd’hui de mettre la pression sur Washington afin de retirer les Gardiens de la Révolution des organisations terroristes. Perçu comme un pari très risqué par plusieurs observateurs occidentaux, force est de constater que la posture iranienne à travers la désignation d’Ali Bagheri n’est pas en totale contradiction avec plusieurs réalités géopolitiques. Le chef de la délégation russe participant aux négociations, MikhailUlyanov, a appuyé l’attitude globale de Téhéran en déclarant : « Nos collègues iraniens défendent comme un lion les intérêts nationaux de leur pays ». Le léger assouplissement apparent des américains à travers la figure de Rob Malley ne pourrait être envisagé sans tenir compte de l’axe d’alliance Moscou-Téhéran.

L’invasion russe en Ukraine, une mise à mal définitive de l’accord de Vienne sur nucléaire ?

Depuis l’invasion ukrainienne, la Russie fait face à de multiples sanctions économiques inédites imposées par les pays occidentaux. Le cours du rouble s’est violemment effondré et le pays risque, selon plusieurs observateurs, d’être très prochainement en défaut de paiement. Au bord d’une crise financière majeure, le Kremelin a récemment décidé d’inclure dans sa stratégie de négociations le nucléaire iranien. Au moment où le Quai d’Orsay a fait savoir qu’un accord serait « imminent » à Vienne, Vladimir Poutine a exigé des garanties américaines afin que les sanctions imposées à Moscou, suite à  l’invasion, ne devront pas affecter sa coopération économique avec Téhéran.

Moscou est, depuis plusieurs jours, sanctionnée, boycottée puis exclue de nombreuses instances majeures. En revanche, s’il est une organisation internationale où la Russie a encore toute sa place, malgré la guerre menée en Ukraine, c’est justement dans les pourparlers sur le nucléaire iranien qui, par conséquent, devient un levier d’influence redoutable pour Vladimir Poutine. Outre la dépendance gazière et pétrolière des pays occidentaux, les russes ont parfaitement conscience que, de par leurs liens privilégiés avec les iraniens, leur rôle est à la fois crucial et incontournable dans l’aboutissement, tant espéré par l’Occident, des accords de Vienne.

Le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, a récemment déclaré que l’accord de Vienne pourrait encore être sauvé malgré la guerre en Ukraine. Les nouvelles sanctions contre la Russie n’ont, selon lui, « strictement rien à voir » avec les négociations sur le nucléaire iranien. Cependant, en cas de confrontation militaire entre l’OTAN et les forces russes, la réalité géopolitique d’une crise qui pourrait donner lieu à une catastrophe humanitaire impose un regard complétement aux antipodes de la position américaine. D’ailleurs, dans son dernier discours public, Ali Khamenei a imputé la responsabilité de la guerre ukrainienne aux États-Unis et à l’Occident. Si cette position était assez prévisible, elle pourrait définitivement mettre à mal les accords de Vienne.

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