Elisabeth Damiani vit avec des troubles psychiques, mais sa situation s’est améliorée. Depuis 2016, elle est formatrice PAIR chez Alfapsy, un organisme de formation et de conseil en santé mentale et sociale. Elle pilote également le Conseil représentatif des personnes accompagnées par l’association l’Œuvre Falret qui aide les personnes souffrant de troubles psychiques.
Madame Damiani, pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
Je vis avec des troubles psychiques, mais ma situation s’est améliorée et depuis 2016, je suis formatrice PAIR, chez Alfapsy qui est un organisme de formation et de conseil en santé mentale et en santé sociale.
Je contribue à la formation de personnes du secteur médico-social en apportant mon savoir, mon expérience, en travaillant en binôme, avec des psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux qui apportent leur savoir académique. Une des spécificités d’Alfapsy, c’est qu’on travaille en parfaite égalité, salaire y compris.
Je participe à former les professionnels du secteur médico-social principalement et je coordonne l’activité de tous les formateurs PAIR d’Alfapsy, en veillant à leur formation, à leur bien-être, à les positionner sur différentes formations en lien avec l’équipe de direction d’Alfapsy.
Quels sont les conseils que vous donnez en lien avec votre vécu ?
On est basé sur une méthode et une pédagogie qui s’appelle le “rétablissement”, c’est un mouvement qui vient des États-Unis. Il a été créé par des personnes souffrant de troubles psy qui se sont dit : « on ne veut plus être instrumentalisées, on ne veut plus être stigmatisées, on reprend notre vie en main et on va montrer notamment aux soignants – qui étaient un peu stigmatisants et défaitistes – qu’on peut bien vivre avec des troubles psy et ne plus être des citoyens de seconde zone, mais qu’on peut être des citoyens à part entière ».
Patricia Deegan est l’une des grandes voix du rétablissement aux États-Unis, elle souffre de schizophrénie, on lui a prédit qu’elle ne travaillerait plus jamais et elle s’est dit : « non, je vais devenir docteur en psychologie et psychothérapeute » et c’est ce qu’elle est devenue.
Elle met l’accent sur l’espérance et l’espoir de pouvoir bien vivre avec des troubles psychiques, alors que ce n’est pas toujours facile. C’est une belle personne.
Les conseils que je donne à mes collègues, c’est de ne pas baisser les bras, de croire en eux, de reprendre confiance en eux. J’appelle ça tirer les gens vers le haut, avec l’espérance qu’ils vont y arriver, car chacun a vraiment un potentiel et chacun peut en faire quelque chose.
Vous en êtes la preuve.
Je suis l’“une” des preuves, pas la seule, heureusement. Mes collègues formateurs PAIR ont le même type de vécu, le même type d’expérience que moi.
L’opération #MaVoixCompte2022 est une opération qui ambitionne de donner envie aux personnes en situation de fragilité mentale d’aller voter, de rappeler qu’elles ont les mêmes droits que les autres. C’est quelque chose qui vous inspire ?
C’est hyper important, il y a eu une évolution législative sur cette question-là. Il fut un temps où les personnes qui étaient sous tutelle n’avaient pas le droit de vote. La loi a évolué très récemment (2019, NDLR) et les personnes sous tutelle et sous curatelle conservent leur droit de vote et leur pleine citoyenneté.
Heureusement, parce que ce n’est pas parce que l’on a des troubles cognitifs ou des troubles de quelque nature que ce soit, qu’on n’est pas en état d’être un citoyen à part entière. On conserve notre dignité, on conserve notre personnalité, tout un tas de talents qui sont peut-être un peu masqués par la maladie, mais qui ne demandent qu’à ressurgir.
En plus d’être coordinatrice formatrice PAIR pour Alfapsy, vous être pilote CRPA pour l’association l’Œuvre Falret qui accompagne des personnes souffrant de troubles psychiques ou en difficultés psychosociales. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi cela consiste?
Le CRPA, c’est le Conseil Représentatif des Personnes accompagnées par l’Œuvre Falret. C’est un conseil qui est né il y a 5 ans ou 6 ans et auquel on m’a invitée à participer en tant que membre. Je me suis beaucoup investie et Sandrine Broutin, la directrice générale de l’Œuvre Falret, m’a demandé de relancer ce conseil, en faisant de moi la présidente, mais je trouve ce mot pompeux, je préfère le mot pilote, c’est moi qui l’ai choisi.
J’anime ce conseil qui a vocation à donner la parole aux personnes accompagnées sur l’Œuvre Falret, des personnes souffrant de troubles psychiques, pour leur donner la parole sur les grandes orientations associatives de l’Œuvre, sur toutes les questions de droit en général, comme le droit au travail, le droit au numérique, le droit à la santé. On les incite à s’emparer de ces sujets, à dire : « ben voilà, nous comment on vit ça. Voilà ce qu’on voudrait comme évolution. Qu’est-ce qu’on peut faire? »
On a notamment ouvert un grand chantier sur le statut des travailleurs en ESAT (Établissements ou services d’aide par le travail, NDLR), qui est tout sauf satisfaisant. On fait remonter nos travaux à la direction générale et Sandrine Boutin a fait remonter ce dossier au ministère de la Santé. C’est une petite voix, mais n’empêche qu’on essaye de faire évoluer les choses.
Comment fonctionne le CRPA ?
On a des réunions tous les deux ou trois mois, des réunions qui durent deux heures qui sont à la fois des réunions conviviales et de travail.
Je souhaite faire de ces réunions, un libre espace de parole. Que les personnes n’hésitent pas à s’emparer des sujets qui les touchent vraiment, dans un climat d’écoute et de non-jugement.
C’est bon au niveau thérapeutique aussi, j’imagine.
Absolument. Le CRPA a aussi un intérêt thérapeutique. Il a pour vocation à encourager les personnes en situation de handicap à se saisir des questions de droits, mais aussi à les renvoyer à elles-mêmes, à les responsabiliser, à leur dire « tu peux trouver la réponse à tel endroit et reviens nous voir après ». Afin qu’elles se saisissent de ces questions, pour plus d’autonomie, toujours dans la logique du rétablissement.
Et du coup vous les avez sensibilisées à la question du vote?
On ne les a pas vraiment sensibilisées à la question du vote, elles s’en sont emparées d’elles-mêmes. La plupart sont sous curatelle, plus que sous tutelle. Elles souhaitaient savoir si elles pouvaient aller voter ou pas, ce qui montre une méconnaissance de leurs droits. Après, je ne sais pas si elles sont allées voter ou pas. C’est dans le secret de leur cœur, je ne vais pas vérifier.
Est-ce que vous êtes allée voter au premier tour?
Je ne suis pas allée voter, ce n’est pas bien. Tout simplement parce que je suis handicapée moteur, j’ai des problèmes de genoux. J’habite au 2e étage sans ascenseur, j’avais très mal aux genoux à ce moment-là, et je n’ai pas eu le courage de descendre les escaliers. Je ne suis pas allée voter uniquement pour cette raison-là. Par contre pour le 2e tour, je vais me motiver, mais je ne dirai pas pour qui je vais voter (rire).
Est-ce que vous trouvez que les candidats à l’élection présidentielle se sont suffisamment saisis de la question du handicap ?
Non, ils s’en saisissent parce que ça fait bien, parce que ça leur ramène des voix. Enfin c’est le sentiment que j’ai et qu’on a tous un peu.
Le programme des candidats concernant le handicap est important pour vous, mais est-ce qu’il y a d’autres critères qui vous intéressent ?
Il y a d’autres critères, oui, je ne vis pas qu’au travers du prisme du handicap. Je m’intéresse à l’écologie, à la solidarité dans le sens le plus noble du terme, à tout ce qui est social.
Dans le passé vous alliez voter ?
Oui je vote très souvent. Sauf quand j’ai eu quelques difficultés, mais depuis que ça va mieux, j’ai envie de profiter pleinement de ce droit.
Patrcia Deegan dit que : « l’on est appelé à ne plus être des citoyens de seconde zone ». C’est quelque chose que je revendique, ce n’est pas parce que je souffre d’une situation de handicap que je ne suis pas titulaire de mes droits, que je n’ai pas à les faire valoir, c’est même le contraire et le droit de vote en fait partie.