La Journée mondiale de la liberté de la presse est l’occasion de s’intéresser à la liberté de la presse en France. Si la situation n’est pas aussi dramatique que dans certains pays, il convient de rester vigilant afin de préserver cette liberté fondamentale.
La Journée mondiale de la liberté de la presse, qui a lieu tous les 3 mai, est une journée de soutien aux médias qui sont les cibles de restrictions ou d’abolition de la liberté de la presse. C’est aussi une journée de commémoration pour les journalistes qui ont perdu la vie dans l’exercice de leur fonction. 47 consœurs et confrères sont morts en 2021,10 depuis le début de la guerre en Ukraine. Le Mexique reste l’un des pays les plus dangereux au monde, selon Reporter sans frontières.
À l’occasion de cette journée, comme chaque année, RSF a publié son Classement mondial de la liberté de la Presse 2022. La France pointe à la 26e position. En 2021, la France arrivait à la 34e place de ce classement.
La pression des autorités françaises
« RSF nous classe 34e, ce qui n’est quand même pas glorieux, et on est largement à la traîne parmi les pays européens. Dans les menaces étatiques, il y a pour moi la question du secret des sources qui est souvent mis à mal quand les journalistes sont convoqués à l’IGPN ou à la DGSI ou font l’objet d’une convocation de la part d’un procureur », expliquait Laurent Burlet, le directeur de publication de Rue89 Lyon, lors d’une table ronde sur la liberté de la presse organisée par la Ville de Lyon à l’occasion de la Journée internationale des droits humains, le 10 décembre dernier.
Il citait ensuite les déboires du site « Street Press » en novembre 2021. La journaliste Fanta Kébé avait été convoquée le 2 novembre par un commissaire de la brigade des stupéfiants (DRPJ) qui lui avait demandé l’identité d’une de ses sources. Le 30 novembre, son directeur de publication Johan Weisz recevait une réquisition de l’IGPN (la police des polices) lui demandant d’identifier un policier qui avait fait l’objet d’un article.
« C’est aussi le cas de l’ONG de journalisme d’investigation Disclose. Eux, ça serait parce qu’ils n’auraient pas respecté le secret-défense, plus précisément, mais effectivement on leur demande de donner des informations sur leurs sources et nous, en tant que journaliste, un de nos premiers engagements, c’est de ne jamais le faire », confirmait la journaliste Léa Lejeune qui était modératrice de cet évènement.
Les violences pendant les manifestations des gilets jaunes
Laurent Burlet témoignait également avoir été victime d’un tir de Flash-Ball pendant le mouvement des gilets jaunes alors qu’il était en train de recueillir les propos d’un manifestant.
« Pour moi ça témoignait plus de l’immense répression que subissaient les gilets jaunes, et puis en discutant avec d’autres confrères lyonnais, je me suis rendu compte qu’il y avait d’autres collègues qui avaient été agressés, et tout ça s’est cristallisé dans la proposition de loi sur la sécurité globale et de son article 24 qui visait à interdire justement de filmer les manifestations », précisait le journaliste de Rue89.
Des membres des forces de l’ordre françaises ont été accusés par des ONG consultatives de l’Unesco d’avoir violé, depuis 2015, l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en réponse à la couverture médiatique des manifestations de par le monde. En 2018, le syndicat français des journalistes a rencontré les membres du bureau du président suite aux nombreuses agressions qu’avaient subi les journalistes.
En 2020, le ministre de l’Intérieur souhaitait que les journalistes demandent « l’autorisation du préfet pour travailler ». Une disposition prévue dans le cadre du nouveau schéma national du maintien de l’ordre de la loi sur la «sécurité globale». Il avait dû rétropédaler devant le tollé général qu’avait provoqué cette proposition. Déposé par la majorité gouvernementale, le texte entendait interdire la diffusion, par tous les moyens, de l’image d’un policier, d’un gendarme ou d’un militaire en opération, dans le but de porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique.
Trois rapporteurs du Conseil des droits de l’homme de l’ONU estimaient que cette loi portait « des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique » et plaçait la France en contradiction avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme.
Plusieurs journalistes soulignaient que cette proposition intervenait peu après les promesses qu’avait formulées Emmanuel Macron de défendre la liberté d’expression lors de son hommage au professeur assassiné Samuel Paty.
Le 17 novembre, des syndicats de journalistes et des associations de défense des droits de l’homme, avaient organisé « La Marche des libertés et des justices » pour le retrait de la loi Sécurité globale. Pour le Syndicat national des journalistes, le texte visait également à empêcher la révélation d’affaires de violences policières illégitimes qui sont souvent étouffées, comme ce fut le cas dans les affaires de Geneviève Legay et de Cédric Chouviat.
Les menaces de l’extrême droite
Lors de la table ronde organisée par la Ville de Lyon, Laurent Burlet évoquait également les menaces de la part de l’extrême droite. « Je travaille depuis une dizaine d’années sur les groupes d’extrême droite radicaux et jusque là je n’avais jamais eu d’ennuis, mais quand j’ai parlé de leur business et comment ils se finançaient, j’ai reçu en bas de chez moi, une croix celtique avec un message indiquant : “Laurent, on sait où te trouver”. J’ai immédiatement déposé plainte, et prévenu les autorités de la Ville et préfectorales, mais cela n’a rien donné, il n’y a pas eu d’enquête », affirmait le journaliste lyonnais, ajoutant qu’il avait été ensuite « entouré avec une consœur par une dizaine de militants du Gud » pendant une manifestation.
L’hyperconcentration des médias français
Mais le problème en France, c’est surtout l’hyperconcentration des médias entre les mains d’une poignée de personnes, de groupes industriels et financiers ou de familles comme Vincent Bolloré, François Pinault, la famille Bouygues, entre autres. Comme le révèle Mediapart dans son film évènement « Média Crash », 9 milliardaires détiennent 90 % des médias.
« Ça n’est jamais arrivé que les médias soient concentrés entre les mains de si peux de personnes, dont le cœur d’activité n’est pas l’information. Ils travaillent dans le BTP, les ventes d’armes, la banque, la téléphonie… dont le cœur d’activité est d’avoir de bonnes relations et des marchés publics avec le gouvernement français de droite ou de gauche et avec des pays étrangers qui sont parfois des dictatures, notamment dans les ventes d’armes par exemple. Ça ne favorise pas la production d’une information ultra libre et indépendante et le législateur refuse de sanctionner par la loi cette situation », nous indiquait Fabrice Arfi qui co-dirige le pôle enquête de Mediapart juste avant la projection d’une séance-débat du film « Média Clash » à Lyon, qui avait eu lieu avant les élections présidentielles.
« Cette hyperconcentration permet le règne des opinions délirantes et on voit bien avec la figure de Zemmour à quel point cela peut prendre une forme extrêmement puissante, qui contamine le débat public », insistait le journaliste de Mediapart.
Il dénonçait ainsi le groupe Bolloré qui « par le truchement de Cyril Hanouna est devenu un vecteur ultra puissant d’extrême droitisation ».
Il fustigeait également les pratiques de Vincent Bolloré qui fait régner la terreur sur ses rédactions à grands coups de licenciements et de plaintes.
Les milliardaires ont été audités par le Sénat, mais Fabrice Arfi regrettait « la faiblesse, voire l’absence de préparation, de relance dans le questionnement des sénateurs français quand ils sont confrontés aux tycoons qui ont croqué les médias » qui lui laisse craindre une « occasion manquée ».
Pendant la campagne présidentielle, Yannick Jadot s’était lui aussi inquiété de cette hyperconcentration des médias qui étouffe l’indépendance des journalistes.
Les Gafam accentuent les difficultés de la presse indépendante
À cela s’ajoutent les Gafam et leurs algorithmes qui excluent la presse indépendante en ne faisant pas remonter ses publications et en favorisant les grands médias. Le processus d’authentification (badge bleu) leur est interdit en imposant l’obligation d’être cité par des médias qui bénéficient d’un partenariat de redistribution.
« Ce qui est certain, c’est que les Gafam ont des accords bilatéraux, à l’abri du secret des affaires, avec les grands médias, qui du coup, sont favorisés. La plupart des grands quotidiens nationaux ont des accords bilatéraux avec Facebook, Google, qui favorisent leur mise en avant, qui leur donnent de l’argent, de manière discrétionnaire », précisait Fabrice Arfi lors de l’entretien qu’il nous a accordé.
Les journalistes indépendants sont également souvent mis à mal en France, par les politiques et les institutions qui exigent le numéro de la Carte professionnelle de journaliste alors que pour exercer la profession de journaliste, cette carte délivrée par la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes professionnels n’est pas obligatoire.
Il n’est également pas possible pour ces médias indépendants, de se référencer sur Wikipédia, qui considère cela comme de la « promotion ».
L’organisation horizontale des médias
Dans son livre « De la télévision », le sociologue Pierre Bourdieu parlait de l’organisation horizontale des médias qui a tendance à lisser l’information. Nous en avons fait les frais quand nous avons été qualifiés de médias antivax par un journaliste de l’émission Quotidien, lorsque nous avons réalisé un reportage sur la pétition « Non au Pass vaccinal ». Nous nous intéressions aux questions de libertés individuelles que soulevaient cette pétition et son auteur Rodolphe Bacquet et il a fallu attendre la parution d’un article dans le Monde qui avait choisi le même angle pour être un être un peu plus pris au sérieux. Pour rappel, nous avons contacté la rédaction de Quotidien, l’auteur du reportage a reconnu à demi-mot son erreur, mais il ne l’a toujours pas rectifiée.
Lors de la Journée internationale des droits humains, la Ville de Lyon avait organisé une table ronde intitulée « Regards croisés : la liberté de la presse en Algérie, au Bélarus et en France », au cours de laquelle des journalistes algériens et biélorusses étaient venus s’exprimer sur la difficulté d’exercer leurs métiers dans leurs pays.
Les difficultés rencontrées par les journalistes français ne sont évidemment pas de même nature, mais il convient de prêter attention au glissement de la liberté de la presse en France, qui occupe une peu glorieuse 26e position dans le classement de Reporter sans frontières, derrière la plupart de ses partenaires européens.
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