Lors d’une visio conférence organisée par l’Épita IA Institut, l’ingénieur Luc Julia est revenu sur le rapport entre la technologie et le réchauffement climatique. Si à l’heure actuelle, elle fait partie du problème, la Tech pourrait bien être la solution.
« De la Tech pour éviter le mur et sauver la planète. » C’est le titre évocateur d’une Visioconférence qui a été organisé par l’Épita IA Institut, une école post-bac centrée sur le Data Engineering et l’intelligence artificielle, située au Kremlin-Bicêtre, à Paris. Le principal intervenant était Luc Julia, un ingénieur et un informaticien franco-américain spécialisé dans l’intelligence artificielle. Ancien vice-président de Samsung chargé de l’innovation, il a rejoint Renault en 2021, en tant que directeur scientifique et s’est notamment distingué en étant l’un des concepteurs de l’assistant vocal Siri.
« Quand on regarde les courbes de la digitalisation du monde et celle du réchauffement climatique , on se rend compte qu’elles sont liées », a-t-il indiqué, mais selon lui « l’IA (et plus largement le numérique NDLR.) peut être un problème, mais elle peut aussi être une solution. »
Le mur du réchauffement climatique
D’après Luc Julia, « nous sommes responsables du réchauffement climatique », et aujourd’hui « nous sommes face au mur ».
L’ingénieur a rappelé que de nombreuses civilisations avaient disparu par le passé. « Au XVIIe siècle sur l’île de Pâques, il y avait une civilisation très avancée. Les habitants de cette île ont fait plein de choses, construit des statues, des pirogues, mais ils ont mangé toutes leurs ressources, la forêt qui leur permettait de vivre. Ils ont détruit leur écosystème et ils ont disparu», a-t-il rappelé.
La technologie fait partie du problème
Pour Luc Julia, la technologie fait indubitablement partie du problème, à commencer par les « énergies fossiles ». Il a fait l’inventaire des problèmes liés au numérique, comme les serveurs qui sont une aberration écologique », tout comme « le Bitcoin ».
L’ingénieur est particulièrement remonté contre les cryptomonnaies. « On a besoin de miner pour montrer que la transaction est réelle. Une transaction Bitcoin est aussi énergivore qu’un million de transactions Visa », a-t-il indiqué. Il a également déploré le gaspillage des mineurs qui jettent leurs machines. Selon lui, « deux transactions Bitcoin équivalent à jeter un iPad ». Pour Luc Julia, « le législateur pourrait décider que le Bitcoin ne sert à rien ».
La numérisation du monde est en train d’accentuer le réchauffement climatique. M. Julia rappelle qu’« en 2019, le numérique est devenu la source la plus importante d’émissions ». « Il représente actuellement 10 % de la totalité. Pendant la pandémie, avec l’explosion du télétravail et des visioconférences, il est passé devant le trafic aérien qui était le plus gros pollueur et qui représente désormais 4 % des émissions », a-t-il précisé.
Le nécessaire changement de philosophie
Après avoir fait ce constat, « soit on se voile la face, soit on essaye de trouver des solutions », a affirmé Luc Julia.
Le scientifique a comparé le progrès à un marteau. « Je vais pouvoir l’utiliser à bon escient pour planter un clou, mais je peux aussi aller taper mon voisin avec. Au final, c’est nous qui sommes au bout du manche. On ne va pas retourner vivre chez les amishs comme le disait notre président, mais il faut se rendre compte que notre confort a un coût. On a les capacités technologiques pour résoudre ça, mais c’est à nous de bien nous en servir », a-t-il expliqué.
Dans l’art gothique, les bâtisseurs de cathédrales ont inventé l’ogive, parce qu’ils pensaient que Dieu est lumière. C’est leur philosophie qui a influencé la technologie et non l’inverse.
Pour changer de paradigme, « on peut décider de faire des petits gestes, arrêter de boire de la bière en bouteille et préférer une bière en fût, couvrir la casserole quand on fait bouillir l’eau des pâtes, sinon on perd 95 % d’énergie pour rien », a expliqué M. Julia.
Mais selon lui, il va surtout falloir « trouver des énergies plus propres ». Pour le directeur scientifique de Renault, « c’est évident qu’il faut des voitures électriques ». « Ce n’est pas la solution idéale, on voit que la production de la batterie a un impact, mais il est annulé à partir de 6000 km alors que le moteur à énergie fossile continue de polluer », a-t-il affirmé.
« Tout est discutable, mais il faut prendre des décisions, qu’on trouve des solutions pour émettre le moins d’émissions possibles, c’est ça qui fait qu’on va droit dans le mur », a-t-il insisté.
L’innovation est la solution
Luc Julia n’en demeure pas moins optimiste. « On va dans le mur, mais du coup on va devoir passer en mode survie, et c’est là que l’on devient plus performant », assure-t-il. Cela va nous permettre « de nous montrer innovants ».
Pour cela, l’informaticien nous invite « à regarder ce que fait très bien la nature depuis des milliards d’années », car elle est « contrainte ». Pour Luc Julia, il faut s’appuyer sur le biomimétisme, comme l’a fait Erasme, le laboratoire ouvert de la métropole de Lyon qui a organisé un marathon créatif sur la bio-inspiration au service des politiques publiques, ou comme le pôle de compétitivité textile Techtera, qui imagine la tenue du combattant du futur en s’inspirant du fil de soie des araignées.
M. Julia est par exemple fasciné par l’ADN, que l’« on soit capable de recréer de façon séquencée ». Selon lui, « c’est une excellente matière pour stocker de la mémoire » et elle offre des perspectives impressionnantes. Il explique que grâce à l’ADN, on pourrait « stocker la Bibliothèque nationale dans un dé à coudre ». « Elle peut permettre de conserver des données pendant 200 000 ans en utilisant 0 énergie », a souligné l’ingénieur.
Pour Luc Julia, l’IA pourrait également faire partie de la solution en nous permettant de « nous éduquer, d’optimiser », même si pour l’instant elle n’est pas arrivée à maturité. « Il faut 100 000 photos de chats pour qu’elle soit capable d’en reconnaitre un avec 98 % de réussite. Si je montre deux photos à une fillette de deux ans, elle arrivera à le faire », a-t-il précisé, restant toutefois optimiste par rapport aux perspectives que l’intelligence artificielle pourrait offrir en progressant.
« Comme on est au pied du mur, on ne va pas avoir le choix. Je suis sûr que dans les 5 ou 10 années qui viennent, il va y avoir des révolutions technologiques qui vont être absolument extraordinaires, parce que c’est à ce moment-là que les innovations explosent » a prédit Luc Julia qui a comparé la situation à la crise pétrolière des années 1970.
« À l’époque, il y avait un slogan extraordinaire : ‘on n’a pas de pétrole, mais on a des idées’. C’est exactement la situation dans laquelle on est aujourd’hui. On est dans le caca, mais on a des idées et on va s’en sortir », a-t-il affirmé en guise de conclusion.
Luc Julia n’est pas le seul à penser que si la technologie nous a mis dans le pétrin, elle peut nous en sortir. Patrice Caine, le CEO de Thalès (un groupe d’électronique français spécialisé dans l’aérospatiale, la défense, la sécurité et le transport terrestre NDLR), a rédigé un billet extrêmement intéressant intitulé « Technologie et climat au service d’une approche pragmatique » dans lequel il ne disait pas autre chose. Dans ce texte, il affirme que « la technologie a pris une nouvelle direction et est de plus en plus appelée à être un moteur de la transition écologique ». Il cite comme exemple les « technologies satellitaires », sans lesquelles « nous n’aurions jamais pu comprendre ou surveiller les phénomènes climatiques avec autant de détails que nous le faisons aujourd’hui ».