Malgré les alertes des associations, l’évacuation du Gymnase Duplat et du squat le Chemineur a laissé 40 mineurs isolés à la rue. Ceux-ci ont dressé un campement d’infortune au square Ferrié, non loin du métro Hénon et comptent sur un sursaut des autorités.
« Métropole, Préfecture, Mairie, on a besoin de toit », peut-on lire sur une banderole installée à l’entrée du square Ferrié, situé non loin du métro Hénon dans le 4e arrondissement de Lyon. Depuis le mercredi 6 juillet, une quarantaine de mineurs isolés ou non accompagnés y ont dressé un campement de fortune ou plutôt d’infortune, devrait-on dire dans un tel contexte.
Ces dernières semaines, nous nous étions inquiétés de la situation à Lyon des « mijeurs » ou mineurs en recours, ces mineurs isolés ou non accompagnés qui sont arrivés sur notre territoire sans leurs parents, qui entrent dans une zone grise lorsque après une évaluation de “minorité”, lorsqu’ils ne sont pas reconnus mineurs. Dès lors, ils ne sont ni mineurs ni majeurs, et ne relèvent plus de la compétence de la métropole de Lyon, qui a la responsabilité des mineurs ou de celle de la Préfecture, qui s’occupe des majeurs.
En attendant leur recours devant le juge pour enfant, ces « mijeurs » logeaient dans des squats conventionnés, comme le squat Chez Gemma dans les pentes de la Croix-Rousse ou non conventionnés, comme le Chemineur, un immeuble qui appartient à ICF, la société immobilière des chemins de fer. Cet équilibre précaire a été remis en cause par l’incendie qui a eu lieu Chez Gemma dans la nuit du samedi au dimanche 12 juin et par la fermeture du squat le Chemineur, qui devait fermer ses portes le 6 juillet, date de l’ouverture de la Station Milan ou Station 2, un lieu d’hébergement destiné à les accueillir, cofinancé par la métropole de Lyon et la Préfecture.
À la suite de l’incendie du Squat Chez Gemma, la Préfecture avait réquisitionné le Gymnase Duplat dans le premier arrondissement de Lyon, mais celui-ci n’était qu’une solution temporaire et il était voué, lui aussi, à fermer.
Le collectif soutiens/migrants Croix-Rousse interpellait la Préfecture, la Mairie et la métropole de Lyon
Le 1er juillet, le collectif soutiens/migrants Croix-Rousse, qui s’est constitué à l’époque de l’occupation du collège Maurice Scève, avait adressé une lettre au maire de Lyon Grégory Doucet, dans laquelle il interpellait la Mairie, mais aussi la Préfecture et la métropole de Lyon. Il s’inquiétait de la fermeture du Gymnase Duplat conjuguée à celle du squat le Chemineur.
« Le 6 juillet prochain, à la suite de la fermeture du gymnase Duplat, une vingtaine de mineurs isolés en recours vont se retrouver à la rue. Le même jour, alors que nous avons accepté, dans le cadre d’une négociation entre les avocats d’ICF et les nôtres, la fermeture du squat le Chemineur pour transférer les mineurs en recours dans une « Station 2 », une vingtaine d’autres mineurs, ne pouvant y trouver leur place vont eux aussi se trouver à la rue. C’est donc une quarantaine de mineurs en recours qui seront sans abri », alertait le collectif.
« Il a été possible d’accueillir des Ukrainien.ne.s dans des gymnases, et c’est une très bonne chose. Il devrait être possible d’ouvrir une salle, un gymnase ou autre, de 20 h à 8 h du matin, avec un veilleur de nuit, pour mettre ces jeunes à l’abri », ajoutait-il.
Un rassemblement a été organisé le 4 juillet
Le lundi 4 juillet, le collectif soutiens/migrants Croix-Rousse a organisé un rassemblement place de la Comédie entre l’Opéra et l’Hôtel de ville, en espérant pouvoir rencontrer Grégory Doucet. C’est finalement Sandrine Runel, l’adjointe en charge des Solidarités et de l’Inclusion sociale de la Ville qui est venue à leur rencontre.
D’après le collectif, Sandrine Runel a indiqué que la Ville avait fait ce qu’elle pouvait en ouvrant notamment le Cafémineur, un lieu qui accueille des mineurs isolés, et qu’elle se trouvait sans solution.
Le cortège s’est donc mis en route vers la Préfecture, mais personne n’a accepté de leur parler. Il a donc pris le chemin du Grand Hôtel de Métropole où il a pu rencontrer Renaud Payre, le vice-président de la métropole de Lyon délégué à l’habitat, au logement social et à la politique de la Ville qui leur a indiqué que la métropole n’était pas responsable des situations d’urgences.
L’implication de la métropole de Lyon
Le matin même, nous avions rencontré Renaud Payre et Lucie Vacher, la vice-présidente de la métropole de Lyon déléguée à l’action sociale et éducative, à l’adoption, et à l’accompagnement des familles, dans le cadre d’un entretien. Ils sont revenus sur le travail accompli par l’exécutif écologiste depuis qu’il est arrivé aux responsabilités, avec la création de la Station Rokfeiler lors de l’évacuation du collège Maurice Scève, l’installation de modulaires sur du foncier métropolitain et le conventionnement de squats. Ils ont surtout insisté sur l’ouverture d’une Station 2, en partenariat avec la Préfecture, qui a nécessité des mois de travail.
« Vous ne trouverez aucun autre département qui fait ce que nous faisons aujourd’hui (…) c’est un engagement inédit en France. Ça n’est pas suffisant pour les collectifs et malheureusement, on se trouve en plus dans une situation qui nous échappe, avec l’incendie Chez Gemma. Il y a eu des jeunes qui ont été d’abord mis à l’abri dans un gymnase du premier arrondissement (le Gymnase Duplat NDLR) et qui vont se retrouver dans la semaine à la rue, au moment même de l’aboutissement de dix mois de travail, avec la livraison de la Station 2 », nous indiquait, dépité, M. Payre. « On est d’autant plus ennuyé pour ces jeunes que l’on sait très bien qu’avec l’été, cela va être terrible. Malheureusement, il y a des moments où on n’a pas de solutions et on le regrette d’autant plus que ça arrive au moment même de l’accomplissement de notre travail », insistait-il.
L’évacuation du Gymnase Duplat et du Chemineur
Le 6 juillet, le Chemineur et le Gymnase Duplat, qui avait été réquisitionné pour mettre à l’abri les sinistrés de Chez Gemma, ont été évacués comme prévu.
« Les anciens habitants de Chez Gemma ont été pris en charge par la préfecture de Lyon » et « Les anciens habitants du Chemineur ont quant à eux pu intégrer le dispositif « Station 2 » dans le quartier de la Part-Dieu et géré par l’association Le Mas », indique le collectif soutiens/migrants Croix-Rousse sur la page Facebook Collège Sans frontières Maurice Scève. Il précise qu’une quarantaine de mineurs se sont retrouvés à la rue et « ont donc collectivement décidé de s’installer (…) avec le soutien des collectifs citoyens, dans des tentes, au square Gustave Ferrié, jusqu’à ce qu’une solution d’hébergement leur soit proposée par les institutions compétentes. »
Le campement Ferrié
Nous avons rendu visite aux mineurs isolés qui dorment dans ce square. Selon eux, « la chaleur est difficile », tout comme « la rosée du matin qui est accentuée par l’arrosage du parc » et ils ne se sentent pas en sécurité. Ils ne peuvent pas faire de feu sur place ni cuisiner, donc pour manger, ils se rendent dans un restaurant social situé à Villeurbanne. Ces jeunes vivent au jour le jour, ils ne savent pas quand leur recours va être étudié, ou quand ils auront l’occasion de quitter ce campement. Ils ont connu différents squats et viennent de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, mais dans cette situation ils disent qu’« il n’y a pas de nation », qu’ils sont « tous unis ».
Sur la page Facebook Collège sans frontière Maurice Scève, le collectif soutiens/migrants Croix-Rousse a lancé un appel aux dons et publié une liste de produits de première nécessité tels que des tickets de métro, des sacs poubelles ou des sprays antimoustiques. Les jeunes demandent de la nourriture et des vêtements. Au moment où nous étions sur place, une dame est venue donner un billet de 50 euros, preuve que la solidarité est toujours une valeur d’actualité.
Le collectif soutiens/migrants Croix-Rousse réclame une solution d’urgence et la présomption de minorité
« Nous avons alerté les institutions à plusieurs reprises ces dernières semaines. Notre boulot de militant, c’est de faire en sorte que ces jeunes soient pris en charge. Le fait qu’on leur dise qu’il y a encore quarante gamins sous des tentes ce soir, ça ne veut pas dire que l’on n’applaudit pas l’ouverture de la Station 2. Nous on est content qu’il y ait pu avoir une discussion entre le collectif et la Métropole par exemple, et que cette Station naisse. On est content que des gamins soient pris en charge et on voit les progrès qui ont été faits, les places qui ont été créées, le travail effectué par l’association Le Mas », explique Sophie, une membre du collectif.
« Ce que je trouve dingue c’est qu’il n’y ait pas moyen d’ouvrir un gymnase, ça fait un an qu’on demande des solutions comme celles qui ont été mises en place après l’incendie ou pour les Ukrainiens. Visiblement c’est quand même faisable. Juste que les gamins ne soient pas dehors. C’est horrible la rue. Ce n’est pas parce que c’est l’été et que c’est dans un parc que c’est sympa », continue-t-elle avant de préciser : « Il ne s’agit pas de faire sortir de terre des dispositifs en une journée. Je ne suis pas sûre qu’il y ait des solutions pérennes disponible là tout de suite, mais ce dont je suis certaine c’est que des solutions d’urgence peuvent être mises en place très rapidement ».
Selon Sophie et le Collectif soutiens/migrants Croix Rousse, « il manque environ 150 places sur la Métropole pour accueillir les jeunes en recours ». « Le nombre de jeunes est stable. Les départs suite à une prise en charge permettent de compenser les sorties après une évacuation négative. On estime que s’il y avait 150 places de plus dans les dispositifs dédiés aux jeunes qui sont en train de faire des recours, il n’y aurait personne dehors, il y aurait un roulement, ce n’est pas un puits sans fin», précise-t-elle.
« Le collectif est épuisé. On est là en soutien et on va continuer à communiquer. Nous avions publié avec une soixantaine d’autres associations, une tribune dans Mediapart pour réclamer le respect de la présomption de minorité. Ce campement illustre bien qu’elle n’est pas respectée alors qu’elle est écrite dans les textes européens. Les gamins sont partis pour faire leur recours sous une tente, alors que 80 % d’entre eux vont être reconnus mineurs par le juge », affirme Sophie.
Du côté de la Métropole, Renaud Payre souligne que « sur ce territoire, on est en train d’avancer face à ce vide juridique des jeunes en recours ». « La métropole de Lyon est une métropole de l’hospitalité, mais cela ne va pas assez vite au regard de ce qu’il se passe concrètement sur notre territoire » concède-t-il. En attendant le déploiement de la politique ambitieuse d’hospitalité de la Métropole, les associations et les mineurs en recours espèrent une solution d’urgence, que cela vienne de la Préfecture, de la Métropole ou de la Mairie de Lyon.