Un an après l’accession au pouvoir des talibans, l’Afghanistan fait face à une grave crise économique et humanitaire, et à de nombreuses violations des droits humains. Bilan.
Il y a un an, les talibans accédaient officiellement au pouvoir en Afghanistan, après en avoir été chassés en 2001 par les États-Unis. Le 15 août 2021, ils ont pris la capitale Kaboul grâce à une attaque éclair, sur fond de retrait américain du pays, après plus de vingt ans de présence militaire. Les derniers soldats américains sont définitivement partis quinze jours plus tard, laissant le pays aux mains du groupe islamiste fondamentaliste.
Une triple crise
Depuis un an, l’Afghanistan traverse une grave crise économique. La valeur de la monnaie a complètement chuté et l’inflation a explosé. Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime qu’en huit mois avec les talibans à la tête du pays, le prix des produits alimentaires a bondi de 40 %. En moins de six mois, un demi-million de personnes ont perdu leur emploi, selon l’Organisation internationale du travail (OIT). « Les salaires sont réduits, les Afghans manquent de revenus et s’endettent toujours plus », constate Neil Turner, conseiller Afghanistan à l’Office norvégien des réfugiés.
Alors que le pays vivant sous perfusion des aides internationales, l’ancien gouvernement tirant trois quarts de ses revenus de l’étranger, l’Afghanistan est maintenant coupé de l’économie mondiale, en partie à cause des États-Unis et de leurs alliés. Les sanctions économiques gelant les avoirs des Afghans à l’étranger ont manqué leur cible : au lieu d’empêcher le régime de se financer et de l’obliger à respecter les droits humains, elles ont uniquement appauvri la classe moyenne du pays et bloqué toute aide humanitaire internationale.
Cette situation économique désastreuse a entraîné une catastrophe humanitaire. 90 % de la population afghane vit maintenant sous le seuil de pauvreté. Dès mars 2022, l’ONU estimait que 23 millions d’Afghans souffraient de malnutrition aigüe, soit la moitié de sa population totale et presque 10 millions de plus qu’en juillet 2021. La spirale de la misère a de graves conséquences sur les droits humains, alors que « pour faire face, certaines familles doivent même avoir recours au mariage précoce de leurs filles ou faire travailler leurs enfants », rapporte Neil Turner.
Sur le plan sécuritaire, le régime multiplie les répressions politiques contre tous ses opposants. Le pays est également la cible de plusieurs attentats terroristes à la bombe revendiqués par l’État islamique qui ont fait des dizaines de morts, remettant en question la capacité des talibans à maintenir l’ordre. Avant d’arriver au pouvoir, ils s’étaient pourtant revendiqués comme les seuls pouvant garantir la sécurité intérieure du pays.
Une ségrégation des femmes
Les talibans s’en sont également pris aux droits des femmes, bien qu’ils s’étaient engagés à les respecter lors de la signature de l’accord de Doha en 2020, censé encadrer le retrait des troupes américaines. En un an, le régime a complètement détricoté tous les droits durement acquis par les femmes afghanes durant les vingt dernières années. Dès leur accession au pouvoir, les talibans ont renvoyé toutes les femmes travaillant dans la fonction publique, en estimant que ce n’était pas un rôle approprié pour elles. En décembre, elles sont interdites de voyager seules. En mai, elles sont obligées de porter le voile intégral (avec seulement les yeux visibles), même à la télévision. Le gouvernement a même estimé que sauf en cas d’urgence, il est « mieux pour elles de rester à la maison ». À partir de la rentrée, les filles ne pourront plus aller à l’école au-delà de la primaire. Richard Bennett, rapporteur des Nations Unies pour le droits humains en Afghanistan, qualifie ces mesures de « modèle de ségrégation sexuelle totale » qui « vise à rendre les femmes invisibles dans la société ».
Pour Azita Nazhand, militante pour les droits des femmes, l’exclusion de l’éducation est un coup fatal : « dans le passé, il y avait des restrictions et des violences contre les femmes afghanes, mais elles avaient de l’espoir car il y avait les écoles, et les femmes et les filles pouvaient servir leur pays grâce à leurs connaissances. Mais maintenant, elles ont perdu ce seul espoir qu’était l’éducation ». Néanmoins, une forme de résistance s’organise, avec le développement d’écoles clandestines pour les jeunes filles à Kaboul.
Samedi 13 août, une quarantaine de femmes ont manifesté dans la capitale pour le droit à l’éducation, scandant « Justice, justice nous en avons marre de l’ignorance ». Elles tenaient une banderole marquée « le 15 août est un jour noir », en référence à la date de prise de pouvoir des talibans. À peine cinq minutes après le début de la marche, elles ont été dispersées par des soldats qui ont tiré en l’air par rafales avec des fusils. Ils les ont ensuite poursuivies dans les magasins où elles s’étaient réfugiées et les ont frappées à coup de crosse, ainsi que les journalistes qui couvraient l’événement. Après un an au pouvoir, les talibans ont enlevé aux femmes jusqu’au droit de s’exprimer.