Rafik est un entrepreneur de 27 ans qui consacre sa vie à ses deux bébés : Nouvelle Ecole, son agence de communication à destination des entreprises et Hall Culture à destination de tous les passionnés de lecture et de culture. Nous avons eu l’opportunité d’échanger avec lui et de revenir sur son parcours afin de comprendre comment il a pu créer « J’aime Chère Lire », le premier club de lectures ouverts à tous à Lyon.
Rafik est né en Algérie en 1995, dans la petite ville de Tiaret, à deux heures et demi d’Oran, à l’Ouest du pays. Il a grandi dans une famille « ni riche ni pauvre », qui a toujours accordé de l’importance à l’éducation et à la pédagogie : « ma grand-mère était directrice d’école et mon grand-père professeur». L’envie d’apprendre et la curiosité sont très rapidement des qualités qui mènent Rafik en classe de C.P à l’âge de 4 ans. Quand les autres enfants de son jeune âge font la sieste l’après-midi, lui s’intéresse -déjà- à l’Histoire, l’écriture, la lecture et les mathématiques : « C’est parce que j’étais toujours fourré dans les pattes de ma grand-mère qui ne savait pas quoi faire de moi donc elle me laissait dans sa classe. Comme ses élèves étaient plus grands que moi, j’écoutais ce qu’elle leur enseignait. Cela m’a permis d’avoir deux ans d’avance et de savoir lire très tôt ».
Le lecture est un élément central de son éducation et il cultive, aujourd’hui encore, l’envie de s’en sortir par les livres. Pour lui, cela a commencé tôt et par des formes diverses : « J’ai eu l’envie de lire également tôt, par obligation à cet âge-là. Je lisais un peu de tout, des magazines surtout. En Algérie, le problème c’est qu’on n’a très peu de livres, pas ou peu de bibliothèques ou de ressources. Ce n’est pas comme en France. Mes premiers souvenirs de « lecture », ce sont les magazines que mon oncle me ramenait de France. J’étais un fan de SmallVille et de Batman, SuperMan et d’astronomie ».
Les premières lectures et le lien familial
Son premier « vrai » livre : « Rémi sans famille », a été une plaie pour ce jeune lecteur de 8 ans. Obligé par la mère de sa mère à le lire durant les vacances malgré la télévision allumée et les copains qui jouent dehors, il garde, avec le recul, un très bon souvenir de ces quelques 416 pages. Eduqué avec un certain respect pour l’objet que représentait le livre « quelque chose de sacré, respecté, institutionnalisé », Rafik découvre également l’éducation « à la française » avec les cahiers de vacances que lui envoie sa mère chaque été. Un moyen de se plonger dans l’histoire d’un pays qui sera bientôt le sien. « Le souvenir des « cahiers vacances » que ma mère m’envoyait directement de France : j’adorais. J’allais directement à la page ‘Histoire’. A 8 ans, je connaissais tous les présidents de la Vème République. Je passais des heures à regarder ces livres-là. Le manque de culture et d’activités en Algérie : piscines, bibliothèques… m’a forcé à lire et m’a fait aimer la lecture ».
Né en pleine guerre civile « que je n’ai pas vraiment connu », Rafik est contraint par le cours des choses de quitter son pays, ses racines, sa vie en Algérie. Il rejoint sa mère en 2005, partie en France un an avant lui et son frère, afin d’obtenir les papiers adéquats « On a vécu un an chez notre grand-mère avant de venir à notre tour en France. Je suis né en 1995, durant la guerre civile. C’était la « décennie noire », il y avait beaucoup de morts. J’en ai pas de souvenirs flagrants, surtout des bribes et ce que ma mère m’a raconté. Il y a une bombe qui a explosée en face de l’école dans laquelle j’allais en 2002. Je n’ai rien eu mais ça été un élément déclencheur». Arrivés en France peu après l’été 2005, Rafik et sa famille s’installent dans le quartier des « Gratte-Ciel » à Villeurbanne, « où j’habite toujours d’ailleurs » rétorque fièrement Rafik.
« C’est un bonheur, car en arrivant en France, je découvre réellement la culture »
En octobre de la même année, quelques jours seulement après son arrivée, il entre dans le système scolaire français. Celui-ci est bien différent de ce qu’il avait pu connaître auparavant. « J’ai senti une vraie différence avec le système scolaire algérien, qui est porté uniquement sur l’aspect scolaire du terme : maths, français, histoire… Ici, une professeure m’a expliqué qu’il y avait un spectacle de danse, de théâtre, qu’on allait partir en classe de ski. J’ai découvert les films avec le cinéma « Emile Zola » à Villeurbanne. Mon premier long-métrage c’était « Edouard aux mains d’argent ». J’ai aussi découvert la médiathèque François Mitterrand, juste à côté de là où j’habite aujourd’hui. A mes 11/12 ans, j’allais passer tous mes mercredis après-midi à lire des Bandes Dessinées : Sardine de l’Espace, Tintin, Astérix, Tomtom et Nana… C’est un bonheur, car en arrivant en France, je découvre réellement la culture ».
Sa mère, dentiste de profession, doit se contenter d’un travail d’assistante à l’hôpital, faute de l’équivalence pour exercer son métier ici sans des concours « immensément durs » selon Rafik.
Cette femme seule s’occupe de « deux enfants avec une paye au SMIC » mais parvient à continuer à apporter de la joie au sein du foyer, notamment par la lecture. « On se privait beaucoup mais il y a une seule chose qu’elle ne m’a jamais refusé : les livres. Elle me disait : ‘Même si on doit se ruiner, on achètera des livres, on se cultivera’. Elle m’a abonné au « Journal de Mickey », qui m’a beaucoup accompagné et inspiré à créer moi-même un magazine».
Fervent défenseur de la culture française
Malgré ce récit quelque peu poignant pour un enfant de son âge, Rafik estime avoir eu une enfance classique. Il a pu, très tôt, s’épanouir dans de nombreux endroits qui l’ont accompagné dans ses transitions d’enfant à adolescent jusqu’à devenir un jeune homme : « Avec les MJC et les centres sociaux, je me suis rendu compte de la chance que j’avais d’être en France. On pouvait faire plein d’activités : l’acrobranche, le ski, la via ferrata, le canoë… ». En parallèle, il baigne également dans un milieu où la musique et le cinéma sont importants : « Ma mère était une grande fan de rock et m’a fait découvrir son milieu : Sting, The Police (que j’ai vu en concert par la suite). Mon père n’a pas été très présent au cours de ma vie, mais je me rappelle que j’allais beaucoup chez lui les week-ends. Il m’a instruit au niveau de la culture cinématographique. On achetait des films où on allait dans les magasins comme OCD. Je me souviens y avoir découvert « Alien », « Ripoux contre Ripoux »… Des nanards de l’époque »
Fervent supporter du « terroir français » dans tous les genres : littéraire avec « Bel Ami » de Maupassant, « Candide » de Voltaire ou cinématographique avec Renoir ou Agnès Varda ; Rafik se définit comme « un défenseur de la culture française ».
L’arrivée dans le système scolaire
Quand il revient sur son parcours scolaire lorsqu’il nous reçoit dans les locaux de co-working où il développe désormais sa propre agence de communication, Rafik définit celui-ci comme « compliqué ». Pourtant, l’éducation familiale l’a toujours pousser à aller au bout des choses. Influençable dans ses fréquentations et rêveur en cours, il s’en est pour autant toujours bien sorti en classe. A travers toutes les écoles qu’il a fréquentées, il garde toujours une anecdote déterminante ou un professeur qui lui a donné un coup de main, qu’il utilise aujourd’hui dans sa vie. Villeurbanne, puis Grenoble, Voiron puis Roanne.. Il fréquente bon nombre d’établissements. Sa mère, consciente de son niveau et de ses capacités, attend toujours plus de lui « J’ai pas mal bougé. J’ai été dans un collège à Charpennes, puis à Grenoble dans un collège riche. Ma mère n’a jamais voulu qu’on soit dans un collège ‘de quartier’ donc elle nous domiciliait ailleurs, chez des amis surtout. On a toujours fréquenté des collèges huppés, où j’étais le plus pauvre de la classe et le seul rebeu du collège. Ça m’a permis de me forger une opinion totalement différente. Le rap était la culture prédominante dans les quartiers au début des années 2010. Moi j’en écoutais, bien-sûr. Mais je m’ouvrais aussi au rock américain, à la musique anglaise.. ».
Au lycée, tout s’est accéléré. Rafik commence à se questionner sur le monde qui l’entoure. Toujours pas à l’aise en salle de classe, il s’en sort en faisant le minimum syndical grâce à sa « grande capacité d’écoute ». Une qualité qui lui sera toujours très utile.
La lecture : le problème et la solution
Il entre en terminal dans un lycée à Roanne, où il obtient sans trop d’efforts un bac E.S. L’élément marquant de cette année-là, c’est un livre : « le Monde de Sophie », que son professeur Monsieur Jimenez lui a conseillé. « C’est grâce à ce professeur d’économie exceptionnel que j’ai eu l’envie de passer le concours de sciences-po, de lire de la philosophie. « Le Monde de Sophie » vulgarise le monde de la philosophie et m’a énormément apporté, à mettre des mots, des expressions sur mes pensées ».
Sur les conseils de son professeur, il lit, se documente, et se forge par la même occasion sa propre opinion. Il se lance dans l’objectif d’avoir le concours de sciences-politiques à Lyon. Il dévore l’ensemble de la bibliographie que le concours exige et s’y présente « Je ne l’ai pas eu, mais c’était une excellente expérience. J’ai eu accès à énormément de bons livres comme « Surveiller ou punir » de Michel Foucault. J’ai vraiment développé ma pensée critique et je me suis posé des questions sociétales : l’incarcération, la relation avec la banlieue, l’immigration… ».
Réconcilié avec le roman par « Papillon » de Henri Charrière puis « La Vérité sur l’affaire Harry Quebert» de Joël Dicker, il entre dans sa majorité avec des bases solides et s’oriente vers un cursus plus adéquat : une licence sciences-po à Lyon 2.
« Lire c’est vivre 1 000 vies en une. Je l’ai compris avec « Papillon » de Henri Charrière.
L’après « Sciences-Po’ »
A l’instar de son parcours scolaire précédent, Rafik patine dans ses premières années en études supérieures. Plus passionné par les ouvrages de la bibliothèque que par les cours donnés en amphithéâtre, il n’acquiert pas le niveau nécessaire à la validation de son diplôme. Sans réelle orientation, il rebondit dans un BTS en comptabilité, « passe-partout », qui lui donne rapidement du travail et une alternance. Arrivé en 2020 et la période de confinement, après 3 ans de bons et loyaux services, il décide de quitter son entreprise afin de voler de ses propres ailes : « Je n’en pouvais plus de faire des réunions en visio’ à 8 heures du matin. J’ai quitté mon entreprise pour monter mon propre projet. Grâce aux « Déterminés », j’ai pu développer mon propre projet et je suis devenu par la suite coordinateur de l’agence lyonnaise. J’ai créé « Nouvelle Ecole», mon agence de communication qui fait de la création de contenus, de l’image de marque ».
Hall Culture et son club de lecture
Aujourd’hui, il développe également le média Hall Culture, « pour la culture du hall, comme le rap. Mais aussi pour « all the culture ». Un projet fédérateur qui a pour objectif de rassembler les gens, de banlieue ou pas, et de leur donner un moyen d’expression ». Un projet qui stagne un peu au vu du nombre considérable d’activités de l’entrepreneur de 27 ans, qui doit devenir « un média institutionnel, avec un magazine en format papier. Je suis un collectionneur donc pour moi ça me semblait évident d’avoir un produit physique qui est durable ». Avec Hall Culture, Rafik propose un nouveau format « J’aime cher lire », un club de lectures ouvert à tous autour du 15 de chaque mois.
Oubliés les clichés du club de lecture du lycée des séries américaines ou celles de téléfilms londoniens avec une tasse de thé. L’objectif de « J’aime cher lire » est de contrer toute forme d’élitisme de la lecture, d’éliminer tous les standards, à commencer par le livre : « L’écrivain a la classe, il maîtrise la langue française, c’est un art des plus vieux. Les prix Goncourt font rêver. Le livre, c’est presque de l’élitisme. Lire a toujours été quelque chose d’extraordinaire. Cet univers m’a toujours donné envie. Mon objectif est désormais d’enlever le côté élitiste de la littérature et l’ouvrir à toute une génération ».
« Pour moi, c’est ce que tu sais qui fera ce que tu seras »
Une première édition réussie !
Quelques jours après la première édition de « J’aime cher lire », Rafik se félicite de la dynamique de ce format. Pensé par une bande de 4 amis : Saïd, Engal, Aymen et lui, l’objectif de ce rendez-vous mensuel a été pleinement rempli et la « réappropriation culturelle de la littérature par tous les moyens possibles » a pu voir le jour grâce à 12 passionnés présents ce soir-là. En plein milieu du quartier de la Part-Dieu, chacun est venu débattre autour de ses lectures préférées, échanger et confronter son point de vue quant aux multiples grilles de lectures de Rachid Santaki et le polar urbain ou encore « La mort du Roi Tsongor » par Laurent Gaudé.
Le futur du projet, sous forme de podcast audio, se concrétisera durant la seconde édition, aux alentours du 15 Octobre prochain. L’objectif sera toujours le même : « parler de ce qu’on lit, ce qu’on aime ou pas dans telle ou telle lecture. On veut donner des conseils, des recommandations à tous. On est un club de lecture pas un club de livres. Tu peux venir avec ton manga, ton reportage, ton article, ta bande-dessinée, ton livre… Peu importe ». Le nom « J’aime cher lire » emprunté à la maison d’édition « J’aime lire » pourrait également voir des déclinaison en musique, cinéma ou dans l’art contemporain. Histoire à suivre !