Le Fonds pour une presse libre a organisé un débat sur le financement de la presse indépendante 

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Lors de cet évènement, les rédacteurs·rices en chef de La Déferlante et de Street Press ont présenté leur modèle économique. Alors que les débats font rage sur l’hyperconcentration des médias, il serait judicieux de s’intéresser aux financements de la presse indépendante. La plupart des aides étant siphonnées par la presse institutionnelle qui est déjà aux mains des milliardaires. 

Le Fonds pour une presse libre est un organisme à but non lucratif dont l’objectif est de soutenir la presse indépendante. Nous avons vu qu’il a organisé le premier « débat des indépendants », le 22 novembre dernier, au cours duquel, Christine Autain et l’historien Alexis Lévrier étaient revenus sur la question de l’hyperconcentration des médias. Nous n’avons pas pu revenir dessus plus tôt pour cause de Covid, mais lors de cet évènement, une deuxième question a été abordée : celle du financement des médias indépendants. 

À cette occasion, Mathieu Molard, le rédacteur en chef de Street Press et Marie Barbier cofondatrice et rédactrice de la revue La Déferlante ont été invités à s’exprimer sur ce sujet. 

Si Street Press et La Déferlante ont comme point commun d’être des médias indépendants, leur histoire, leur profil et leur modèle économique sont assez différents. 

StreetPress, qui se définit comme « un site web français d’information de la gauche radicale consacré à l’investigation et aux cultures urbaines », a été lancé en mars 2011 et a tout misé sur le numérique. 

La Déferlante est une revue trimestrielle consacrée aux nouvelles luttes féministes qui n’a que deux ans d’existence et parie sur le papier, même si ce média dispose également d’un site vitrine et d’une newsletter. 

Le modèle économique de La Déferlante

Pour sortir son premier numéro en mars 2021, La Déferlante a lancé une campagne de financement participatif. « Nous voulions récolter 8000 euros et nous en avons récolté 250 000. Ça nous a permis d’avoir de la trésorerie et de pouvoir payer tout le monde. C’était important pour nous en tant que média féministe de pouvoir payer toutes les femmes qui ont contribué », explique Marie Barbier, précisant que le média « était parti d’emblée avec 3000 abonnés ». 

« L’été dernier, on a fait une petite prise de participation avec Mediapart qui est rentré au capital, et beaucoup de proches, des militantes qui nous suivaient depuis le début  qui voulaient participer. Quand nous avons fait ce tour de table on a récolté 75000 euros », ajoute la rédactrice en chef de La Déferlante.

Marie Barbier cite comme exemple une militante qui avait touché « un héritage de 1000 euros de sa vieille tante transphobe » et qui a préféré « le donner à La Derfelante ».

Toutefois le support papier est couteux et La Déferlante n’est toujours pas à l’équilibre malgré ses 7500 abonnées. Pour cela, il lui faudrait atteindre 10 000 abonnées, ce qui ne devrait pas tarder, puisque les thèmes abordés par ce média répondent à de vraies aspirations. En attendant, La Déferlante continue à faire appel aux dons, notamment pour financer sa newsletter. « Nous le faisons de plus en plus, cela permet de financer des enquêtes, sur les violences sexistes et sexuelles qui coutent très cher », souligne la rédactrice en chef. Selon elle, « en dehors de l’enjeu financier, la newsletter permet aussi de renforcer les liens avec le public, c’est aussi un moyen de tester les enquêtes qui sont susceptibles de générer un grand intérêt ».

La Déferlante n’a pas sollicité beaucoup de financements, même si la revue a bénéficié de la « Bourse émergence, comme beaucoup de médias qui se lancent», et a reçu un coup de pouce de la part du Fonds pour une presse libre

Le modèle économique de Street Press

Du côté de Street Press, son fondateur Johan Weisz-Myara a commencé avec très peu de moyens. « Quand Joe a crée Street Press, il venait de finir ses études, il est parti faire un crédit à la consommation et s’est fait prêter un bout d’un appartement par l’universitaire Patrick Weil », explique Mathieu Molard, précisant que « Street Press a commencé avec 5000 euros, ce qui excluait le support papier ». « Le média va grandir très doucement, étape par étape, l’immense majorité des revenus venaient du Studio de production qui ne représente plus que 30 % des revenus. Puis un peu de pub est arrivée. Street press produit pas mal de contenus sur YouTube. Nous avons activé la monétisation, ça nous rapporte un peu de sous. Bien moins que ce que cela nous coûte à produire, mais pas zéro. »

Mathieu Molard souligne que « Street Press est une société commerciale ». « Ça a permis de faire rentrer des actionnaires, des gens qui sont rentrés et ont mis un peu d’argent. La majorité du capital appartient à Joe, mais il n’a pas d’intérêt économique ailleurs, comme vendre des armes. »

Street Press a fait appel au Crowfounding. « Après trois ans, nous avons mis en place un système de soutien par les lecteurs. Nous tenons à rester gratuit, mais à prix libre, en une fois ou en plusieurs fois et on va revenir demander tous les ans aux lecteurs pour finir à l’équilibre. Je ne peux pas faire une enquête sur les violences policières dans les quartiers populaires par exemple et ne pas être lu par les gens qui en sont victimes, ça ne collait pas », affirme le rédacteur en chef de Street Press

Le média a également créé une newsletter remarquée pendant la campagne présidentielle contre l’extrême droite. 

« Ce sont les dons des lecteurs qui l’ont financée, nous avons été voir l’Open Society Fondation également ». « Le fait de fonctionner par newsletter créait un lien, et puis au bout d’un an, même si on sortait de l’année électorale, il y avait quand même 91 députés d’extrême droite à l’Assemblée et cela nous a décidés de continuer au rythme mensuel », explique Mathieu Mollard. 

« Cette newsletter a nécessité un investissement de 70 000 à 80 000 euros qui ont permis de publier entre 100 et 200 articles sur l’extrême droite », ajoute-t-il. 

La nécessité de changer la législation sur le financement de la presse indépendante 

Concernant les demandes de financement, Mathieu Molard considère qu’il s’agit d’un « enjeu majeur ». « À Street Press, on ne bénéficie pas des aides publiques, parce que le système a été pensé à l’époque du tout papier. L’immense majorité des aides à la presse écrite sont fléchées dans cette direction-là, même s’il y a des petits fonds qui permettent de récupérer quelques milliers d’euros par si par là au niveau français. »

Street Press a tout de même réussi « à obtenir de manière indirecte une aide plus conséquente en montant un gros projet avec des médias indépendants européens et en répondant à un appel à projets de la part de l’Union européenne ». « Il faut une réforme structurelle pour lutter contre l’hyperconcentration des médias, mais il y a aussi besoin d’une réorientation d’une partie des aides pour qu’elles soient réadaptées aux petits médias indépendants qui bénéficient de très peu d’aides. »

Cela n’a pas manqué de faire réagir François Bonnet, journaliste et président du Fonds pour une presse libre : « Tout le monde est d’accord là-dessus jusqu’à la Cour des comptes qui a rendu un rapport à ce sujet il y a quelques années ». « Rien ne bouge, car on a affaire aux lobbys puissants de la veille presse qu’incarne Jean-Michel Baylet (PDG du Groupe La Dépêche NDLR.), qui passe son temps à faire le siège du gouvernement pour arracher encore et toujours plus d’argent. Dernièrement il voulait 60 millions d’euros pour compenser la hausse du prix du papier. »

Les différents intervenants ont finalement conclu que les médias indépendants avaient vocation à avoir des modèles différents, qu’on ne voyait pas l’émergence d’un modèle économique unique. Le financement peut se faire grâce aux aides publiques, à la pub, même si le recours aux dons est de plus en plus important. 

Selon le rédacteur en chef de Street Press, « Il y a trois ans, on recevait 0 euro de Dons, aujourd’hui on reçoit entre 120 000 et 140 000 euros de nos de nos lecteurs. Il y a plein de gens qui sont convaincus qu’il y a un problème dans le système médiatique actuel et qui se retrouvent plus dans la Déferlante, dans Street Press et dans la presse indépendante. Reporter arrive à fonctionner avec 99 % de dons et budget annuel qui dépasse le million d’euros. »

Le Fonds pour une presse libre a toutefois souligné les difficultés de la presse indépendante. « Nous apportons un soutien financier, mais pas uniquement, nous avons différents modes d’interventions et notamment des subventions et des avances remboursables. Nous ne pouvons pas financer un média, mais nous pouvons l’aider à financer des projets bien sanglés qui permettent de franchir un palier », a détaillé Charlotte Clavreul, la Directrice exécutive du FPL. Street Press et La Déferlante en ont déjà bénéficié. Le site consacré aux cultures urbaines s’est par exemple servi de cette aide pour mettre en place son système de dons. Preuve que l’aide du FPL est vertueuse, en attendant de plus grandes avancées législatives. Les enjeux démocratiques sont en tout cas énormes alors que 90 % des médias appartiennent à 9 milliardaires et que la plupart des Gafams appartiennent au groupe Vanguard qui possède les grands labos pharmaceutiques. Les plateformes des réseaux sociaux ont également passé des accords avec les Nations unies et ont une politique extrêmement défavorable aux médias indépendants qui ne peuvent pas, par exemple, faire de la publicité sur des thèmes tels que l’écologie, l’antiracisme, le féminisme ou la politique en général. 

Gregory Fiori
Gregory Fiori
Ex-rédacteur en chef

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