Alors que la question de la gestion de l’eau et des super-bassines fait irruption dans l’actualité avec les violences qui ont émaillé les manifestations de Sainte-Soline, la Commission mondiale sur l’économie de l’eau a rendu son rapport en amont d’un sommet de l’ONU qui a eu lieu du 22 au 24 mars : le constat est sans appel et alarmant.
En résumé, les experts mandatés par l’Organisation des Nations Unies déclarent que la demande en eau douce, nécessaire au bon fonctionnement de l’ensemble de nos industries, dépassera de 40% l’offre disponible d’ici sept ans. Selon ce rapport, il est urgent de cesser de subventionner l’extraction et la surconsommation d’eau. Les principales cibles sont les gouvernements, l’agriculture intensive et l’ensemble des industries, allant de l’exploitation minière au textile en passant par le béton ou l’industrie pétro-chimique.
Une question existentielle
Regardez autour de vous : tous les objets qui vous entourent ont nécessité une quantité importante d’eau. Selon une étude de l’UNESCO datant de 2010, la consommation d’eau totale est de 15 000 litres par kilo de viande de bœuf. Selon d’autres estimations, il en faudrait 10 000 pour un jean, 500 pour un kilo d’acier, autant pour un kilo de papier, 35 pour un kilo de ciment… Même les serveurs des data centers ou nos centrales nucléaires ont besoin d’eau pour être refroidis et en état de fonctionner. Bref, tout ce qui nous entoure et est nécessaire à notre société industrielle exige des quantités considérables d’eau douce (et de pétrole).
Pourtant, chaque été apporte le constat alarmant des sécheresses qui s’annoncent, aggravées par l’artificialisation des sols qui ne permet pas la remise en place d’un cycle de l’eau « normal ». L’été dernier, le Rhône était presque à sec, tout comme la Loire ou même l’imposant Yangtsé chinois, le troisième plus grand fleuve du monde.
Le rapport de la Commission mondiale sur l’économie de l’eau
Le rapport est le premier de son genre : l’ensemble du système hydrique mondial y est examiné de manière exhaustive, en prenant en compte les risques différentiels selon les pays. La plupart des nations dépendent d’environ la moitié de leur approvisionnement en eau de l’évaporation de « l’eau verte » des pays voisins, appelée ainsi car elle est fournie lorsque les plantes absorbent l’eau du sol et libèrent de la vapeur dans l’air depuis leurs feuilles. Or, même cette eau est en danger avec l’artificialisation des sols, la destruction des écosystèmes et le réchauffement climatique.
Les scientifiques consultés recommandent de considérer l’eau douce comme un bien commun mondial, car la plupart des pays dépendent fortement de leurs voisins pour cette ressource essentielle, ce qui risque d’entraîner des tensions géopolitiques majeures. La surconsommation, le gaspillage, la pollution et la crise climatique aggravent une crise qui adviendrait de toute façon sans ces facteurs un jour ou l’autre, car la demande croit de manière exponentielle.
Ainsi, Johan Rockstrom, directeur de l’Institut de recherche sur les impacts du climat de Potsdam et auteur principal du rapport, a déclaré au Guardian que la négligence globale des politiques et des industriels conduisait à une catastrophe. « Les preuves scientifiques montrent que nous avons une crise de l’eau. Nous utilisons mal l’eau, nous la polluons et nous modifions tout le cycle hydrologique mondial, par ce que nous faisons au climat. C’est une triple crise. »
Le rapport expose sept recommandations clés, parmi lesquelles la refonte de la gouvernance mondiale des ressources en eau, la fixation d’un prix approprié pour l’eau (plus élevé) accompagnée d’un soutien ciblé aux pays les plus vulnérables, réduire les plus de 700 milliards de dollars de subventions accordées chaque année à l’agriculture et à l’eau, qui encouragent souvent une consommation excessive et réduire les fuites dans les systèmes de canalisation et d’acheminement, la restauration des zones humides et des nappes phréatiques, le recyclage de l’eau utilisée par l’industrie, la réduction de l’irrigation intensive et dispendieuse…
Selon ce même rapport : « Nous nous dirigeons vers un échec collectif massif. Les catastrophes de 2022 sont un avertissement des choses à venir : les inondations et sécheresses sans précédent, les tempêtes cycloniques et les vagues de chaleur, dans une région aujourd’hui et une autre demain, le bilan dévastateur en souffrances humaines, et dans certains cas, des décennies de développement humain effacées en quelques semaines. »
Les conséquences
Bien sûr, en lisant ces lignes, on peut se dire que ces considérations ne toucheront que les pays les plus pauvres et les plus arides, mais comme dit plus haut, l’ensemble de nos biens de consommation dépend de la disponibilité de l’eau et donc de son prix. Si la demande excède l’offre de près de moitié, il s’agit d’une catastrophe pour l’économie. Nous ne partirons pas en guerre contre nos voisins européens pour leurs ressources en or bleu d’ici dix ans, mais en revanche, si nous ne transformons pas totalement la gestion de l’eau au niveau mondial d’ici à sept ans, cela annonce une explosion des prix de tous les biens de consommation et donc de tous les services. Une super-inflation, en quelque sorte. Pas besoin d’être au Sahel ou en Afrique du Sud (qui se bat depuis des années pour repousser le « Day Zero », le jour où l’eau courante ne sera plus disponible) pour en ressentir les effets concrets, donc. L’excès de la demande de presque de moitié pour un facteur clé de production de presque tout est une annonce énorme.
En termes plus simples, la civilisation humaine toute entière est sur le point de manquer d’eau et ce, durablement. Les prix vont nécessairement exploser en conséquences et les rationnements commencer dans certaines régions (nous rappelons ici que les légumes sont d’ores et déjà rationnés au Royaume-Uni). Si vous me lisez de France, vous n’allez pas mourir de soif, vous faîtes partie des chanceux à l’échelle mondiale, mais sans changement rapide et drastique de notre gestion de l’eau, nous allons tous, collectivement, et bien plus vite qu’on ne le pense, devenir plus pauvres, ce qui signifie également que les taxes et impôts collectés seront moins importants. En conséquence, l’État aura moins de ressources à allouer aux services publics et aux infrastructures….
En somme, ce rapport sur l’eau nous alerte une fois de plus face aux risques majeurs d’effondrements (partiels et progressifs) de nos sociétés, au sujet desquels les scientifiques nous alertent depuis maintenant plusieurs décennies, étant donné l’interconnexion croissante de l’ensemble des réseaux humains.
Pour ceux qui désireraient lire le rapport et ses préconisations en intégralité, voici le lien : https://turningthetide.watercommission.org/